En Syrie, une opération de police pour la non-prolifération
Incidences
La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive participe d’un maintien de l’ordre mondial, un enjeu majeur pour tous. C’est ce qui pousse le président américain Barack Obama à agir en Syrie. Par notre chroniqueur François Nordmann
Le maintien de l’ordre mondial est une question majeure pour tous les Etats, surtout pour les moins puissants, car elle détermine le mode de fonctionnement de la société internationale. La tentation de l’anarchie est plus présente dans le système actuel, qui se caractérise par l’instabilité et l’incertitude, en gros depuis la chute du régime communiste de la Russie entre 1989 et 1991.
L’unité d’un monde libéral, attaché aux mêmes principes de démocratie et de liberté des marchés, a fait illusion au cours des dix années suivantes. Les rivalités anciennes entre Etats se sont progressivement réveillées. Les pays prétendant exercer un leadership mondial, de plus en plus contestés, sont confrontés à des défis croissants du fait du morcellement du pouvoir et de la complexité des problèmes mondiaux. La montée en puissance de la Chine, accompagnée des pays émergents et réclamant leur part dans la direction des affaires du monde, a achevé de brouiller les lignes et de rendre l’ordre mondial nébuleux. On ne sait s’il est multipolaire ou apolaire, faute de centre magnétique sur lequel s’orienter.
Il n’en reste pas moins que les Etats Unis demeurent relativement sinon absolument la puissance principale, le chef de file sur le plan politique, militaire, social, scientifique, économique et technologique. Après le «siècle américain» qui l’a entraînée dans des guerres multiples et lointaines façonnant la carte du globe, la fatigue et l’«aquoibonisme» se sont installés. Les responsabilités internationales l’ont accaparée au détriment du maintien de la base même de sa force. Elle a négligé l’éducation, la santé publique, les services sociaux, l’infrastructure du pays, ses routes, ses chemins de fer, ses ponts, la distribution d’énergie, les services sociaux, la cohésion d’une société d’immigrants. Après la guerre mal conçue et mal conduite en Irak, après la prolongation indue de celle d’Afghanistan, le moment était venu de se montrer conciliant à l’égard de ceux qui vous avaient pris en grippe, et de se replier sur la défense des vrais intérêts – investir dans l’avenir, refaire l’Amérique, rompre avec les vieilles lunes et préparer sa réponse aux attentes et aux besoins de l’Asie.
Pour avoir ainsi redéfini les priorités et les axes de la politique étrangère américaine, le président Obama apparaît aux yeux de ses adversaires comme faible ou indécis. Il s’en tient pourtant à une ligne claire: solder le passé, renoncer à intervenir partout et toujours, adapter son action aux nécessités du terrain – s’il le faut, «conduire de l’arrière», comme brièvement en Libye – mais sans se laisser entraîner dans d’interminables guerres dont l’opinion publique est lasse et qui ne correspondent plus à l’intérêt national nouvellement perçu. Le refus d’engager systématiquement la force, l’accommodement avec des réalités qu’on ne veut pas combattre tout en contribuant à la recherche de solutions politiques et en y mettant tout le poids de son influence ont été les facteurs de la nouvelle politique américaine par exemple au Moyen-Orient. Cependant l’intérêt national nouvelle manière n’est pas si révolutionnaire qu’il exigerait de jeter par-dessus les moulins les valeurs anciennes, permanentes et fondamentales sur lesquelles l’Amérique s’est construite et se fondera aussi à l’avenir.
Obama a notamment mis l’accent sur la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (ADM), et il en a été récompensé quasi instantanément par le Prix Nobel de la paix.
Il n’est donc pas étonnant qu’il invoque précisément la violation des normes mondiales qui régissent la non-prolifération des armes chimiques pour intervenir en Syrie. Tant que la guerre civile qui y fait rage depuis deux ans mettait aux prises des forces locales appuyées par des Etats de la région, un gouvernement soutenu notamment par la Russie et l’Iran, l’instinct d’Obama était de ne pas s’en mêler. Mais l’emploi d’armes chimiques contre la population civile, qu’il est en mesure d’attribuer aux forces gouvernementales, change la donne: c’est à la fois une atteinte à la dignité humaine et un risque pour la sécurité nationale des Etats-Unis, dit-il. C’est se moquer des règles en vigueur contre la prolifération des ADM dans le monde entier, une menace contre les pays de la région, partenaires des Etats-Unis, Israël, Jordanie, Turquie, Liban et Irak, enfin c’est un encouragement aux groupes terroristes à s’emparer et à utiliser eux-mêmes des armes chimiques. Une opération militaire chirurgicale, ciblée, limitée mais puissante est prévue, destinée non pas à modifier le cours de la guerre, mais à sanctionner l’emploi d’armes prohibées. Et tant pis pour les détails juridiques finement ciselés, la paralysie du Conseil de sécurité, les risques d’accroître le déséquilibre régional: le devoir d’humanité doit prévaloir, la tendance politique qui sous-tend la lutte contre la non-prolifération doit l’emporter. C’est une réaffirmation de l’ordre mondial.
Obama convaincra-t-il le Congrès des Etats-Unis, et ses principaux partenaires du G20 qu’il rencontrera en fin de semaine? Il y a déjà eu tant de rebondissements inattendus dans ce dossier qu’un nouveau revirement diplomatique n’est pas à exclure. Mais la détermination d’agir ne saurait être mise en doute.
La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive participe d’un maintien de l’ordre mondial
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.