Et c’est de la meilleure défense nationale et de la meilleure politique de sécurité que nous avons besoin actuellement. Car en cas de crise, il ne suffit pas de disposer de têtes, il faut aussi les esprits les plus brillants de toutes les disciplines et de toutes les couches de la population, pour élaborer ensemble les meilleures solutions. Et c’est exactement ce que garantit un système de milice appliqué au domaine de la politique de sécurité.
Intégration tardive
Pourtant, depuis le 7 février 1971, l’armée n’est plus à l’image de la société. En effet, depuis cette date historique, les femmes peuvent voter et font partie, de jure, de la société suisse. Mais en Suisse, les femmes tardent à être intégrées dans la société historique des hommes. Ainsi, la Suisse s’est située à la cinquième dernière place mondiale en matière de vote des femmes, en tenant compte de son application tardive en 1991 en Appenzell Rhodes-Intérieures. L’article sur l’égalité est entré dans la Constitution fédérale en 1981, et il a fallu attendre 1996 pour que la loi sur l’égalité, qui concrétise ce mandat constitutionnel, entre en vigueur. La Suisse n’a jamais été et n’est toujours pas une pionnière en matière de droits des femmes. Aujourd’hui encore, les résistances à l’inclusion des femmes sont particulièrement tenaces là où les stéréotypes sont les plus forts. C’est notamment vrai pour ce qui concerne la sécurité et l’armée, comme la guerre en Ukraine le montre: les hommes doivent se battre, les femmes doivent être protégées.
Pourquoi la Suisse est-elle si mal classée en matière d’égalité des droits, alors que les femmes représentent plus de 50% de la société? La Suisse a été créée par des hommes pour des hommes. C’est une démocratie masculine, dans laquelle l’accès au pouvoir passait par la participation et le système des partis. Les hommes d’Etat ont créé un système qui consolide les stéréotypes sur le plan institutionnel. Avec des lois et des conditions-cadres qui désavantagent ou excluent les femmes. Un système traditionnel et historique, à base de stéréotypes évidents et de préjugés inconscients.
Dans un système comme celui de la Suisse, où toutes les règles d’accès à la sécurité et au pouvoir ont été créées par les hommes pour les hommes, les changements systémiques sont très difficiles. En effet, dans une démocratie ceux-ci doivent être obtenus par la majorité, et celle-ci est difficile à obtenir lorsque la loi elle-même est discriminatoire.
Un exemple: bien que l’article 8 de la Constitution fédérale interdise la discrimination fondée sur le sexe, le même législateur, dans la même loi, opère une distinction selon le sexe à l’article 59 «Service militaire et service de remplacement»: selon l’alinéa 1, le service militaire est obligatoire pour les hommes suisses, alors qu’il est facultatif pour les Suissesses, selon l’alinéa 2. Cela discrimine les deux sexes: les hommes sont obligés de fournir une prestation supplémentaire, les femmes sont exclues de la formation à la politique de sécurité et donc, de facto, ne peuvent pas participer à une partie pertinente du savoir et du pouvoir.
Discrimination légale inadmissible
En Suisse, la formation en matière de politique de sécurité n’existe depuis le début que dans le cadre historique du service militaire obligatoire, ainsi que dans celui, plus récent, du service de remplacement. A l’école, il n’existe à ce jour aucune matière «politique de sécurité». Cette discrimination légale inadmissible explique pourquoi les femmes, qui constituent selon le mode de calcul de 0,7 à 0,9% de l’effectif de l’armée en 2022, y sont massivement sous-représentées par rapport à leur poids dans la population de plus de 50%. Car miser uniquement sur le volontariat et la responsabilité individuelle ne fonctionne pas. Ni pour le port du masque en temps de pandémie, ni pour l’obligation de servir.
Pourquoi serait-ce différent pour les femmes et pour les hommes? Si l’Etat veut imposer des obligations à ses citoyens, il doit les réglementer de manière claire, uniforme et surtout non discriminatoire. L’Etat doit montrer l’exemple. Il est temps de vérifier systématiquement l’absence de discrimination dans toutes les lois et de créer des conditions sociales qui garantissent aux deux sexes le même accès, les mêmes avantages et les mêmes inconvénients dans tous les domaines.
Le rapport scientifique «Global Gender Gap Report», publié tous les ans, montre clairement les stéréotypes et leurs conséquences. Son célèbre éditeur, le Forum économique mondial, a calculé en 2022 qu’il faudrait encore 132 ans pour que les femmes aient les mêmes droits, les mêmes chances et les mêmes salaires dans le monde entier. Comment accélérer l’avènement d’une société inclusive? Il faut systématiquement adapter et corriger les règles qui reposent sur des stéréotypes et des préjugés inconscients. Il faut rendre visibles les stéréotypes et corriger les discriminations dans les lois et la réglementation. Le moyen le plus rapide d’y parvenir est de briser les stéréotypes les plus forts. Pour atteindre l’objectif de 10% de femmes dans l’armée d’ici à 2030, soit une augmentation de près de 1500%, des mesures fortes sont nécessaires. Il faut impérativement que les droits, les devoirs et les conditions-cadres soient les mêmes pour les femmes et les hommes. Cela comprend aussi l’obligation de servir.
Tamara Moser, juriste et experte en communication, Direction nationale des projets pionniers et de changement, major à l’état-major des forces terrestres de l’armée suisse, juge à la Cour d’appel militaire et directrice du projet «Armée et inclusion des femmes» de la Société suisse des officiers, aujourd’hui suspendu, dont elle a été le premier (et dernier) membre féminin du comité.