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Le temps des équipes (doubles) nationales

Dans toute l’Europe, les partis populistes attaquent des équipes nationales jugées trop mélangées. L’étonnante fraternité entre les équipes suisse et albanaise donne le message inverse. Mais cet acquis est fragile

Taulant Xhaka (à gauche) joue pour l’Albanie, son frère Granit pour la Suisse. Les deux s’affronteront dimanche lors du premier match des deux équipes à l’Euro. — © WALTER BIERI
Taulant Xhaka (à gauche) joue pour l’Albanie, son frère Granit pour la Suisse. Les deux s’affronteront dimanche lors du premier match des deux équipes à l’Euro. — © WALTER BIERI

Tout le monde parle par commodité de «l’Euro 2016», mais le véritable nom du tournoi de football qui s’ouvre vendredi en France est «Championnat d’Europe des nations». Prendre les concepts d’«Europe» et de «nation» et les secouer sur un mode compétitif dans un contexte général de vague migratoire, de repli communautaire, de fermeture des frontières et de crise identitaire procède d’un numéro d’équilibriste dont le monde du sport est coutumier, à défaut de le maîtriser totalement. Lire aussi: Suisse et Albanie, deux destins liés à l’Euro

Dans beaucoup de pays, le débat sur la double nationalité est un sujet brûlant. En Allemagne, le parti populiste AfD s’en prend à cette Mannschaft «Multikulti», pourtant championne du monde en titre. En France, le pays se divise entre pro et anti-Benzema. En Suisse, il pourrait rebondir si d’aventure la «Nati» et ses six joueurs d’origine albanaise perdaient samedi contre l’Albanie et ses sept passeports helvétiques. «Les héros d’hier pourraient devenir les félons de demain», prévient Bashkiim Iseni, le directeur d’Albinfo.ch.

Durant l’Euro 2016, Le Temps ouvrira ses colonnes aux journalistes de cette plateforme d’information pour la communauté albanaise de Suisse. Ils parleront des Suisses de l’équipe d’Albanie, des Albanais de l’équipe de Suisse, et de toute cette communauté partagée entre ses deux équipes. La page Sport du Temps se partagera aussi en deux, non pas pour opposer mais pour réunir et rassembler.

Le sport ne reconnaît pas la double nationalité. Arrivé à un certain âge ou un certain niveau, il faut choisir son camp. Ceux qui y sont soumis se déterminent souvent par pragmatisme. Ils jouent pour l’équipe qui leur offre les meilleures perspectives: la plus compétitive s’ils ont le choix, la plus accueillante s’ils se sentent moins désirés. Quelle que soit leur décision, ils demeurent des citoyens tiraillés entre deux pays, deux cultures. Des doubles nationaux.

Ce sont souvent des enfants d’immigrés, parce que le sport représente dans ces milieux déracinés et défavorisés d’abord une occasion d’être comme tout le monde, puis au contraire un moyen de se distinguer, et finalement une opportunité de s’élever socialement. La réussite ultime est de jouer pour une équipe nationale, en attendant que l’UEFA et la FIFA inventent les équipes doubles-nationales.