Jugée hier avec mépris, objet d’une forte hostilité, la question animale est aujourd’hui une question de société qu’il devient difficile d’ignorer. Le scandale des vidéos-choc des élevages vaudois par Kate Amiguet vient de contraindre les pouvoirs publics à réagir dans la catastrophe, et le week-end passé se tenait à Genève un colloque international «Le spécisme en question(s)», rassemblant des personnalités majeures de l’éthique animale.

Il y a peu, il aurait été impensable que le bien-être des porcs fasse les titres des journaux ou que ces conférences attirent les centaines de personnes qui se sont pressées à Genève. Se soucier des animaux paraissait définitivement ridicule: c’était de la sensiblerie, de l’émotion mal placée, irrationnelle.

Pire, c’était même une offense faite à l’humanité, un blasphème, un crime de lèse-humanité. Pensez donc, se soucier des bêtes alors que des personnes meurent tous les jours sous les bombes! Il y a vingt-cinq ans, à Paris, les passants crachaient sur les vitrines de l’unique restaurant végétarien.

Quelle égalité animale?

En 1990, nous découvrions la pensée de Peter Singer, qui a révolutionné la philosophie morale en publiant en 1975 «La libération animale». Singer défend un égalitarisme simple: ce sont le plaisir et la souffrance qui donnent une valeur positive ou négative à notre vie.

Or, ses affects importent à chacun et des souffrances similaires, par exemple, devraient recevoir la même considération, indépendamment de critères qui n’entretiennent aucun lien logique avec leur importance pour celui qui les subit: la race, le sexe, l’âge ne peuvent pas servir de critères de discrimination. Ni non plus l’espèce. Ni non plus aucune de ces caractéristiques censées qualifier l’humanité: l’intelligence, la raison, la liberté… C’est simplement la capacité à ressentir des sensations et des émotions qui doit devenir le critère de base de l’éthique.

Les animaux ne sont pas des choses à notre service. Ils sont nos égaux dans la souffrance ou le plaisir

Depuis la parution de ce livre, quarante années de débats théoriques se sont écoulées sans que le raisonnement de Singer soit infirmé, et il est admis aujourd’hui que le spécisme ne peut pas être défendu rationnellement. Le spécisme? C’est l’idéologie qui fonde notre morale sur l’appartenance (ou non) à notre espèce, tout comme le racisme ou le sexisme fondent une morale sur l’appartenance à une race ou un sexe.

Les animaux, ces individus sensibles, expressifs, singuliers, capables d’émotions, de joie, de curiosité, de peur, de douleur, ne sont pas des choses à notre service. Ils sont nos égaux dans la souffrance ou le plaisir, et nous devrions considérer leurs intérêts d’une façon similaire aux nôtres propres.

L’antispécisme sort des catacombes

«Les Cahiers antispécistes» sont nés en 1991 du sentiment que nous avions que cette notion d’égalité animale était révolutionnaire, non seulement pour remettre en cause le spécisme, mais aussi pour explorer les implications éthiques, philosophiques, sociales et politiques de cette révolution culturelle majeure. La revue est longtemps restée confidentielle, mais a joué un grand rôle dans le développement du mouvement animaliste francophone, qui est le fruit de décennies de réflexion et de débat à contre-courant de la pensée humaniste ambiante. Aujourd’hui, l’antispécisme sort des catacombes…

Vers une éthique universaliste

Il ne vise rien moins qu’un changement du critère qui fonde nos civilisations: considérer les seuls humains comme des égaux est une injustice. Le mouvement pour l’égalité animale vise à promouvoir une éthique véritablement universaliste. La prise en compte des intérêts des animaux et l’abolition de leur exploitation est une question sociétale et politique majeure.

L’émotion suscitée récemment par les conditions d’élevage ou l’intérêt nouveau pour l’éthique égalitariste sont peut-être bien des signes parmi d’autres qu’une révolution est en marche…

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