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Felix Moser, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel qui fermera définitivement ses portes cet été, explique que sa discipline est un lieu de réflexion unique, au carrefour de la rationalité et de la transcendance. La théologie a toute sa place dans l’Alma Mater, et il serait dangereux qu’elle en soit chassée
De la nécessité de garder la théologie à l’université
La fermeture annoncée de la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel pose la délicate question du statut universitaire de la théologie. Fort heureusement, la Faculté de théologie et de sciences des religions à Lausanne et la Faculté de théologie autonome de Genève vont poursuivre leurs efforts pour maintenir la théologie au sein de l’Alma Mater. Mais, le statut académique de la théologie est contesté et la fermeture neuchâteloise en constitue un signe éloquent.
La place de la théologie dans l’ensemble de notre société se rétrécit. Nous pouvons dire que ses lieux d’exercice sont marginalisés hors des discussions de la société. Dans notre réalité occidentale, deux mondes se côtoient et semblent s’ignorer: celui de la rationalité pure avec ses logiques propres, et celui des croyances et opinions, laissé à la libre appréciation de chacun. Sans doute, la raison et la foi ne sont pas à mettre sur le même plan: elles appartiennent à des ordres de vérité différents. Mais la raison, si elle veut remplir son office, acceptera de se laisser interroger par les expériences, en l’occurrence les expériences religieuses. La foi, quant à elle, devient plus robuste, lorsqu’elle accepte d’entrer en débat avec les autres et qu’elle s’expose à l’épreuve du doute. Bien plus, cet espace de rencontre où foi et raison concluent une alliance pour le bien de tout un chacun, qu’il soit croyant ou non, permet à mon sens de penser le rôle et le statut des institutions religieuses aujourd’hui; point n’est besoin de longues phrases pour dire à quel point une régulation de ces institutions est nécessaire pour éviter les extrémismes. A l’inverse, il est nécessaire de réaffirmer qu’il n’y a pas de sens sans référence et que la théologie se présente comme le renvoi à une instance tierce qui évite les affrontements duels et frontaux. En ouvrant sur la transcendance, elle relativise toutes les prétentions aux absolutismes de quelque bord qu’ils soient. Ainsi, garder la théologie au sein de l’université présente un double avantage, pour ce haut lieu de formation et pour la théologie elle-même.
Face à la société, l’ambition de la théologie consiste, en posant la question de Dieu, à reprendre en même temps les interrogations humaines fondamentales: comment répondre à l’aspiration au bonheur? Comment affronter les injustices qui minent la cohésion de notre société? Que dire face à l’allongement du temps de la vie? Comment intégrer la mort? Pour répondre à ces questions qui surgissent immanquablement dans la vie quotidienne individuelle et collective, la théologie permet de donner de la place au nécessaire recul pour une pensée sereine et une argumentation réfléchie.
L’implantation de la théologie à l’université l’oblige à jouer selon les mêmes règles du jeu que celles instaurées par les sciences, et en particulier les sciences humaines. La théologie se marginaliserait elle-même si elle quittait les lieux où elle peut se confronter de façon interdisciplinaire à d’autres matières que la sienne. Si elle veut former des pasteurs en ce début de IIIe millénaire, elle doit pouvoir leur offrir un double éclairage: d’une part elle renverra aux autres disciplines universitaires pour interpréter le contexte dans lequel l’Eglise se trouve, et d’autre part elle présentera des outils pour interpréter de façon créative et fidèle ce qui fait la spécificité du christianisme: la référence aux Ecritures et aux traditions qui les véhiculent.
A mon sens, la théologie pratique, qui ne sera plus enseignée à Neuchâtel, doit elle aussi rester à l’université. En tant que réflexion sur une action sensée, elle postule qu’il n’y a pas de lien automatique entre la théorie et la pratique. En effet, ce lien est tributaire d’un contexte qui évolue rapidement et de situations données qui sont à chaque fois singulières. La pratique déborde toujours la manière théorique dont nous voulons la prendre dans nos filets, et la théorie doit s’élaborer en fonction des expériences nouvelles qui se font jour.
De même, pour éviter que sur le terrain l’action devienne agitation vaine ou dérive, la théologie pratique doit l’interpeller sur la question de l’articulation entre la fin visée et les moyens déployés. Elle proposera donc des modèles plausibles, où les références qui fondent la foi chrétienne puissent être exprimées et valorisées concrètement.
La théologie ne se situe donc pas hors de son siècle et hors culture. Elle peut proposer un lieu de réflexion où la vie humaine est prise en charge avec toutes ses contradictions et assumée devant une instance tierce; elle ouvre donc sur une humanisation des rapports humains et sur une construction d’une société plus juste et plus équitable.
La théologie propose un lieu de réflexion où la vie humaine est prise en charge avec toutes ses contradictions et assumée devant une instance tierce
Doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel
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