UE: recoller les morceaux
analyse
La fameuse gouvernance économique ne se limite pas à un abandon supplémentaire de souveraineté. Encore faut-il l’incarner. Par Richard Werly
Pour les uns, c’est un couvercle étanche. Capable, s’il le faut, de mettre 750 milliards d’euros sur la table pour venir en aide à ses membres défaillants, l’Union européenne a éteint l’incendie. Mais pour les autres, le plan anti-krach de l’UE a aussi ouvert des brèches. Les unes positives, les autres plus problématiques pour l’avenir de la Communauté.
La brèche la plus positive, outre l’obtention d’un accord commun à Vingt-Sept autour d’un mécanisme de crise certes compliqué à comprendre, mais potentiellement efficace, est celle du financement communautaire. Tout au long de la nuit de dimanche à lundi, les Allemands, les Néerlandais, les Britanniques et les Finlandais ont, entre autres, dit non à une garantie d’emprunt accordée par les Etats à la Commission. D’où le choix d’une entité externe pour héberger les éventuels fonds levés sur la base de garanties nationales, à hauteur maximale de 440 milliards d’euros.
Ils ont, cependant, accepté d’ouvrir le robinet. Le premier dispositif d’urgence, à savoir la facilité pour les balances des paiements dotée de 60 milliards d’euros et réservée aux pays membres de l’Eurozone, sera bel et bien géré par la Commission. Celle-ci, dans ce cadre, pourra donc emprunter. Ce qui constitue un précédent dans lequel le Parlement européen, depuis longtemps demandeur d’une augmentation des ressources financières propres de l’Union, pourrait s’engouffrer.
L’idée que le budget communautaire pourrait, demain, ne plus être seulement la somme de contributions nationales fait son chemin. Avec, cachée derrière mais bien sûr tue, l’idée d’un possible futur impôt communautaire, par exemple sous forme de prélèvement d’une partie des quotas d’émissions de CO2, ou idéalement, à travers les futures taxes sur les transactions financières aujourd’hui envisagées. La gouvernance économique trouverait là, en somme, les moyens indispensables à une plus grande coordination.
Cette lecture optimiste du méga-plan européen vaut aussi sur le plan politique. Sauf qu’elle est là tributaire des hommes et des volontés bien plus que des mécanismes. Sur le fond, l’idée allemande de fonctionner sur la base de garanties nationales, approuvées le cas échéant par les parlements, n’est pas si mauvaise. Car qui dit vote dit débat, mais aussi appropriation, test d’une volonté commune.
On peut aussi penser que la Commission européenne n’est pas le véhicule adapté pour tout. Ses services sont contestés. Ses méthodes aussi. Sa rigidité est légendaire. Face à des marchés financiers souples et hyperrapides, la meilleure riposte n’est donc pas toujours celle du Berlaymont (le QG de l’exécutif européen à Bruxelles…).
La porte, en revanche, doit rester ouverte aux solutions communautaires. Or tel est le cas aujourd’hui. Si la Commission, à force de leadership, réussit à se replacer au centre du jeu et à aider les pays les plus vulnérables à retrouver les chemins de la croissance, l’Europe aura progressé. La gouvernance économique, faite d’un partage supplémentaire de souveraineté pour faire converger les politiques industrielles et les grands équilibres, est un chantier autant institutionnel qu’opérationnel. Après le krach et la faille grecque, il faut recoller les morceaux de l’UE.
Ceux qui pourront le faire ne sont pas si nombreux. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, dirige une task force chargée de proposer de nouvelles réglementations financières. Laquelle puisera dans les travaux actuels de la Commission matière à réflexion. Mais c’est à José Manuel Barroso que doit d’abord revenir l’initiative. Pour son second mandat de cinq ans, l’homme n’a plus rien à perdre. A lui de surmonter ses frustrations, voire sa rancœur envers Nicolas Sarkozy ou Angela Merkel, qui le snobent de temps à autre ou le font patienter.
L’homme, passionné de recherche et d’innovation, a le talent du compromis. Ce plan de sauvetage financier, biscornu, imposant mais riche de potentialités, peut devenir sa chance et celle de l’Union européenne. Ne pas la saisir serait la meilleure façon de convaincre les Etats d’en revenir pour de bon aux interminables négociations intergouvernementales.
Correspondant du «Temps» à Bruxelles.
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