Le droit n’est plus en phase avec la réalité vécue des couples dans la société et il faut donc «moderniser le droit de la famille». Tel était le constat et l’objet central, dès 2010 déjà, des interventions aux Chambres de plusieurs parlementaires et de celle de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national (CESC-CN). En réponse, une «créance d’assistance» pour les partenaires de vie et le «mariage pour tous», peut-être aussi un «pacs suisse», seront proposés pour être introduits dans le Code civil. L’édifice des institutions et les concepts de base du droit de la famille s’en trouveraient fondamentalement changés.

Le premier projet de loi, le plus modeste, est prêt. Publié le 30 août 2018, il répond en particulier à la motion Gutzwiller de 2010 et prévoit une «créance d’assistance», soit le droit à une rente du partenaire de vie resté dans une situation économique difficile après le décès de son conjoint, si la communauté de vie a duré cinq ans. Cette «créance d’assistance» décevra probablement les attentes éveillées par la motion Gutzwiller qui visait un statut légal des partenaires de vie comparable, sinon égal, à celui des époux et des partenaires enregistrés survivants. Il s’agirait néanmoins d’un – petit – pas vers la reconnaissance, dans la loi, des communautés de vie stables, ce qui a été refusé jusqu’à ce jour.

Le «mariage pour tous»

D’impact plus fort sur les fondements mêmes du droit de la famille, le «mariage pour tous» devrait faire l’objet d’un deuxième projet de loi prévu pour février 2019. Selon les appréciations dans la presse, le mariage ouvert aux couples hétérosexuels et homosexuels, proposé par le groupe Vert’libéraux en 2013, a de fortes chances d’être adopté au parlement. La Suisse ne ferait que suivre la même évolution que de nombreux autres pays dans l’acceptation entière des couples de partenaires du même sexe.

Le troisième projet législatif à l’étude actuellement et paraissant également promis à une suite favorable est celui de la création d’un «pacs suisse» – nom emprunté au pacte civil de solidarité français. Cette réflexion est entamée pour donner suite aux postulats Caroni et de la CESC-CN de 2015 et devrait aboutir à une nouvelle union légale, un «mariage light», moins contraignant à tous égards que le mariage et le partenariat enregistré, mais offrant néanmoins un cadre juridique et une certaine sécurité aux partenaires. L’expérience en France démontre l’attractivité d’une telle solution. En Suisse aussi, de nombreux couples vivant en union libre stable seraient probablement prêts à s’engager formellement par un tel pacs.

La Suisse ne ferait que suivre la même évolution que de nombreux autres pays dans l’acceptation entière des couples de partenaires du même sexe

Non seulement le mariage pour tous, le pacs et la créance d’assistance modifieraient-ils fondamentalement l’actuel édifice du droit de la famille, ils entraîneraient certainement aussi des questionnements au sujet de la fonction du partenariat enregistré par rapport au mariage pour tous et au pacs suisse.

Deux institutions quasiment identiques

Avec le nouveau concept du mariage, l’actuelle discrimination des couples du même sexe tomberait. Très probablement, cela ferait naître la demande légitime de certains couples hétérosexuels de pouvoir conclure un partenariat enregistré. Or, en ouvrant les deux institutions à tous les couples, on finirait avec deux statuts obéissant quasiment aux mêmes conditions et entraînant quasiment les mêmes effets.

Le partenariat enregistré n’est pas – et n’a jamais été – la solution intermédiaire entre l’actuelle union libre et le mariage; il appartiendrait au «pacs suisse» de remplir ce rôle. Par conséquent, même si le pacs n’était pas adopté, la question se poserait de savoir s’il se justifie de maintenir deux institutions quasi identiques. Vu l’importance du mariage dans la tradition suisse, il paraîtra probablement logique de discontinuer le partenariat enregistré.

Reflet de l'évolution de la société

Les réformes en cours actuellement pourraient aboutir à un édifice d’institutions rationnel et cohérent, mais très différent de l’actuel. Il y aurait deux statuts légaux reconnus: le «mariage pour tous», qui aurait absorbé le partenariat enregistré, et le «pacs suisse (pour tous)». Le pacs séduirait probablement une grande partie des couples vivant en union libre aujourd’hui. Les couples qui en resteraient à l’union libre ne bénéficieraient pas d’un véritable statut légal, mais la «créance d’assistance» conférerait une sécurité matérielle minimale aux partenaires et reconnaîtrait, par ce biais, le caractère spécial d’une communauté de vie durable.

Ce nouveau droit bouleverserait le droit de la famille tel que nous le connaissons actuellement, sans pour autant représenter un modèle utopique, loin de la réalité actuelle. Au contraire, ce serait le reflet, dans la loi, de l’évolution dans la société. La nouvelle vision devrait contenter de nombreuses personnes et garantir, à plusieurs niveaux, une sécurité digne d’une société démocratique du XXIe siècle.

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