Le Conseil fédéral est-il encore en capacité de conduire la politique extérieure de la Suisse? La volte-face opérée ce mercredi au sujet de la signature du Pacte de l’ONU pour les migrations constitue en tout cas un aveu de plus de la situation de faiblesse du gouvernement, en particulier du ministre des Affaires étrangères. Une faiblesse institutionnelle en raison des calculs électoraux et des allégeances.

Avec ses tergiversations et par l’abandon de l’une de ses rares prérogatives, le gouvernement avoue sa perméabilité aux pressions partisanes et au populisme ambiant. Un très mauvais signal au mauvais moment, alors que la Suisse tente encore de parvenir à un accord-cadre avec l’UE. L’UDC, hostile à tout accord, et les syndicats, opposés à un affaiblissement des mesures contre la sous-enchère salariale, vont s’engouffrer dans la brèche.

Cadeau à l’UDC

La gauche et les organisations de salariés seront d’autant moins prêtes à faire des concessions sur les mesures d’accompagnement que la Cour de justice de l’UE (CJUE) vient de rendre un arrêt qui fait bondir leurs collègues en Autriche. La CJUE a en effet déclaré contraire au droit européen une mesure prise par le gouvernement autrichien pour lutter contre la fraude sociale lors de l’envoi de travailleurs détachés. En cause, une disposition de la loi autrichienne sur le travail permettant d’imposer à un client d’une entreprise de suspendre des paiements et de constituer une caution pour garantir une éventuelle amende infligée au prestataire de services installé dans un autre Etat.

C’est en quelque sorte l’inverse de la législation suisse, qui prévoit le dépôt d’une caution par l’entreprise étrangère. Or, ce qui fâche encore plus les syndicats, c’est que la nouvelle réglementation autrichienne venait de remplacer une autre obligation, comparable à celle de la Suisse, prévoyant une annonce préalable une semaine avant l’envoi de travailleurs détachés. La cour considère donc que la loi autrichienne «va au-delà de ce qui est nécessaire pour la réalisation des objectifs de protection des travailleurs» et constitue une restriction à la libre prestation des services.

Aux yeux des syndicats suisses, la preuve est faite que la CJUE privilégie la libéralisation des marchés au détriment de la protection des salariés. Sans contrepartie, ils n’ont guère de raison de faire de cadeau à un gouvernement qui se laisse facilement intimider par l’UDC. La favorite radicale dans la course au Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter, ne ménage d’ailleurs pas ses critiques sur le manque de sens diplomatique du gouvernement dans une interview accordée cette semaine à la presse alémanique. «On ne peut faire de concessions vis-à-vis de Bruxelles que si l’on s’est mis d’accord auparavant en Suisse entre partenaires sociaux, dit-elle… A juste titre, les syndicats ont pu avoir le sentiment qu’ils devaient faire rapidement des concessions. Cela ne crée pas un climat de confiance.»

Une république irrésolue

En reculade sur l’assouplissement des exportations d’armes et sur le Pacte de l’ONU, désavoué par le parlement pour la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse», le congé paternité et le paquet fiscal, le Conseil fédéral ressemble à ces républiques irrésolues que décrivait Machiavel: «Leur faiblesse les empêche de se décider dès qu’il se présente le moindre doute. Sans une violence qui les talonne elles flotteraient éternellement dans l’incertitude.»


La précédente chronique: Une jeunesse attachée au système démocratique, particularité helvétique 

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