Moment de fulgurance européenne
Germaine de Staël, voilà un nom qui devrait orner les rues de nos villes et de nos villages, de nos bibliothèques et de nos universités en cette époque où l’on recherche des femmes à citer en exemple. Les institutions européennes devraient examiner pour elles-mêmes quel bâtiment, quelle salle de conférences dédier à cette femme de génie. Car Mme de Staël illustre à elle seule l’Europe de l’esprit. Elle fut, des années 1793 à 1817, la cheffe de file de ce que l’histoire des idées politiques et des lettres européennes appela à la fin du XIXème siècle «le groupe de Coppet».
Stendhal, qualifiant le salon de Coppet «d’Etats généraux de l’opinion européenne», en perçoit la portée révolutionnaire
Trois générations de personnalités indépendantes, venues de toute l’Europe, cristallisent l’intelligence du moment dans un libéralisme d’opposition, les Benjamin Constant, August Schlegel, Wilhelm von Humboldt, Byron, Sismondi, Juliette de Krüdener, Adam Gottlob Oehlenschläger, Charles de Villers, Jean de Müller…; elles correspondent avec les grands esprits de leur temps et voyagent à leur rencontre comme le fit Staël à Weimar avec Goethe et Schiller. Ce moment de fulgurance n’a pas de précédent; il n’a pas eu d’équivalent depuis. Stendhal, qualifiant le salon de Coppet «d’Etats généraux de l’opinion européenne», en perçoit la portée révolutionnaire. Au pire moment des guerres napoléoniennes, Coppet est l’un des lieux où l’Europe prend conscience de son unité. C’est aussi l’un des lieux de dialogue entre catholiques et calvinistes, entre chrétiens, incroyants et libres-penseurs, dans une tentative commune de concevoir une société moderne et tolérante.
Ranimer le salon de l’Europe
Dans sa vision universelle des droits de l’homme, le groupe de Coppet est aussi l’expression d’une Europe altruiste. Jacques Necker, sa fille Germaine de Staël, ses petits-enfants Auguste de Staël et Albertine de Broglie, Benjamin Constant et Sismondi furent, de 1789 à 1830, des avocats inlassables et précurseurs de l’abolition de l’esclavage.
On pourrait parler longuement du rôle du groupe de Coppet dans la transition des Lumières au romantisme. La littérature, dont Staël définit l’acception moderne, exprime à Coppet la subjectivité de l’être humain dont la correspondance politique est la liberté du citoyen. Cette exploration littéraire de l’âme et des passions prépare l’exploration psychanalytique des champs de la conscience.
Voilà pourquoi, dès cette année, nous appelons à l’inscription du château de Coppet et de ses abords dans le Label européen du patrimoine, comme le proposent les descendants de Mme de Staël. Ranimer le salon de l’Europe, relancer le débat d’idées, c’est rappeler que celle-ci, bien plus qu’une union marchande, est d’abord une Europe de l’esprit.
Lancée à l’initiative des d’Haussonville, nus-propriétaires du château de Coppet et descendants de Jacques Necker et de sa fille Mme de Staël, cette tribune ouverte a reçu le soutien de plus de 50 personnalités du monde de la culture de différentes nationalités.
Jean-Pierre AZÉMA, Antoine de BAECQUE, Guy BERGER, Gabriel de BROGLIE, Philippe BRAILLARD, Léonard BURNAND, Andrea CARANDINI, Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE, Christophe CHARLE, Francis CHEVRIER, Joël CORNETTE, Pascal COUCHEPIN, Alain CORBIN, Benedetta CRAVERI, Teresa CREMISI, Xavier DARCOS, chancelier de l’Institut de France, Robert DARNTON, Francesco DE SANCTIS, Olivier FATIO, Antonio FOSCARI, Etienne FRANÇOIS, Marc FUMAROLI, Claude GAUVARD, Adrien GOETZ, Marie-Claire HOOCK-DEMARLE, Jean-Noël JEANNENEY, Julia KRISTEVA, Marc LAZAR, Michel ONFRAY, Pascal ORY, Carlo OSSOLA, Mona OZOUF, Breve PIETROMARCHI, Jean-Robert PITTE, Daniel RONDEAU, François ROSSET, Danièle SALLENAVE, Thomas SERRIER, Catriona SETH, Pierre-François SOUYRI, François SUREAU, Laurent THEIS, Chantal THOMAS, Benedikt de TSCHARNER, Pierre VALLAUD, Sylvain VENAYRE, Georges VIGARELLO, Emmanuel de WARESQUIEL, Patrick WEIL, Jean-Michel WILMOTTE, Michel WINOCK, Dominique WOLTON, Benoît YVERT, Pierre ZEMOR