Un nouveau chapitre s’écrit entre l’Iran et le reste du monde
opinions
Après les élections qui ont révélé le modéré pragmatique Hassan Rohani souffle l’espoir d’un dialogue constructif entre l’Iran et la communauté internationale sur le sujet du nucléaire. Catalogue des difficultés à surmonter, des deux côtés, pour concrétiser un accord
L’élection de Hassan Rohani en tant que président de l’Iran pourrait ouvrir un nouveau chapitre plus constructif dans le conflit qui l’oppose depuis une décennie au Conseil de sécurité des Nations unies. La question nucléaire est devenue la préoccupation principale, sinon exclusive, de la politique étrangère iranienne, et si elle n’est pas réglée, il y a peu de chances pour que ses relations avec l’Europe s’améliorent. Il existe trois obstacles politiques à un accord, dont deux du côté iranien, qu’il faudra surmonter.
Premièrement, une politique intérieure minée par les factions. Chaque groupement a utilisé la question nucléaire de manière opportuniste, à l’image d’un match de football politique, sabotant les tentatives des uns et des autres pour atteindre un accord raisonnable en le qualifiant de repli ou de capitulation. Les élections ont démontré que les conservateurs étaient divisés et sur la défensive, car l’impact des sanctions a rendu leurs slogans impopulaires parmi l’électorat.
Difficile toutefois d’imaginer qu’ils resteront sur leur réserve si une opportunité de nuire à la nouvelle administration, moins idéologique, se présente. L’expérience a démontré que les présidents peuvent faire une différence dans le ton et l’expression de la politique étrangère, même si, en matière de sécurité, ils restent captifs du veto dont dispose la ligne dure. En cas de négociations, Rohani, à l’instar de Khatami, se retrouvera-t-il paralysé par ces groupes de pression?
Le deuxième obstacle est constitué par le guide suprême en personne. Il a bien senti la colère et le dégoût de la société iranienne et estimé qu’il fallait fournir à la population une valve de sécurité et une voie différente. Cet appel au consensus populaire aura pour effet de «re-légitimer» le régime. Permettra-t-il aussi de normaliser ses relations avec le reste du monde? Il n’y a aucune raison de penser que Khamenei changera sa position à l’égard des Etats-Unis qu’il accuse de vouloir utiliser la question nucléaire comme prétexte pour renverser le régime, ni qu’il concédera qu’il existe d’autres moyens que la défiance et la «résistance» face à ce défi existentiel.
Dans cette perspective, tout compromis devient signe de faiblesse et il reste peu de raisons pour initier une discussion utile, sans parler de négociations. Toutefois, l’élection de Rohani pourrait signaler la volonté de Khamenei de tenter la souplesse face à la question nucléaire, afin de voir si une approche différente pourrait déboucher sur des résultats tangibles. Car le guide suprême pourra toujours rejeter la faute sur le président en cas d’échec, ou s’en attribuer le mérite en cas de réussite.
Rohani, quant à lui, est un modéré pragmatique, internationaliste d’instinct, qui croit possible de respecter le droit de l’Iran au nucléaire tout en rassurant la communauté internationale sur la nature pacifique de son programme. A première vue, il ne semble pas impossible de réconcilier ces deux catégories d’intérêts à condition d’établir une confiance réciproque.
Le dialogue ainsi que des accords progressifs pourraient rassurer chaque partie de la bonne foi de l’autre, ce qui faciliterait les compromis. Toutefois, des obstacles subsistent. L’un d’eux est que l’Iran a utilisé son manque de transparence, son opacité et son ambiguïté comme des armes dans ses relations avec l’Occident. Démanteler cet arsenal ne sera pas chose aisée.
Et il y a un problème plus substantiel: la manière dont chaque partie définit le «succès». L’Iran veut empêcher toute nouvelle sanction, et faire lever les sanctions existantes le plus vite possible. Les Etats occidentaux, de leur côté, interpréteront tout signe de flexibilité de la part de l’Iran comme un indicateur que les «sanctions fonctionnent» et se montreront réticents à les lever, sauf en tant que toute dernière étape du processus.
Les Etats-Unis argumenteront que les sanctions actuelles (qui comprennent les mesures du Conseil de sécurité des Nations unies, de l’UE et des Etats-Unis) ont été adoptées avec peine et peu à peu, et qu’elles ne peuvent être activées ou désactivées aussi facilement qu’un interrupteur électrique. Cela se traduira par la tentation de retarder tout allégement des sanctions. En revanche, l’Iran a besoin de cet allégement s’il veut se soustraire à une critique sévère, voire pire venant de l’intérieur.
Cela nous conduit au troisième obstacle: la nature de la coalition occidentale. Il peut s’avérer difficile pour le groupe P5 + 1 et ses alliés de se mettre d’accord sur ce qu’ils attendent de l’Iran, et sur ce qu’ils sont prêts à lui concéder. Au Congrès américain, les républicains seront plus exigeants (intransigeants) que l’administration Obama. Israël et l’Arabie saoudite se montreront plus sceptiques et plus durs dans leurs exigences quant aux contraintes infligées au programme nucléaire iranien. Cette coalition hétérogène peut par conséquent ne pas être en position d’accepter un oui de l’Iran. La première victime de l’élection de Rohani sera la perspective d’une frappe militaire. Politiquement, il sera difficile d’attaquer un pays si son président essaie sincèrement d’atteindre un compromis raisonnable.
Associé principal non résident de Carnegie Endowment. Cet article se base sur une conférence que l’auteur a donnée à Chatham House, RIIA, Londres, le 18 juin 2013
Traduit de l’anglais par Fabienne Bogadi
Tout compromis devient signe de faiblesse et il reste peu de temps pour initier une discussion utile
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