Un prénom pour la vie
Charivari
Bientôt on fête les Nicolas, puis les Jésus. Donner un prénom, c’est plus qu’une histoire de goût, c’est un désir de trajectoire, une ambition. Angoisse?

Ils ont pensé à Agathe, mais ont finalement préféré Romane. Parce que c’est plus combatif, plus conquérant. Un empire pour une petite fille, ce devrait suffire. On connaît tous une ou deux Lucie. Prénom lumière, beau en toute saison, plus scintillant encore en hiver. Qui a déjà rencontré un Gontran? ou un Gonzague?
Les prénoms. Si vous êtes comme moi, vous vivez l’enfer quand vous devez présenter à votre chéri(e) des connaissances, parfois même des amis. On reconnaît et l’on apprécie la personne, mais rien ne vient. Le trou noir. J’ai une explication à ce handicap. Non, ce n’est pas l’âge, car j’ai toujours connu ce gap. C’est plus freudien. Si j’oublie les prénoms, c’est parce que je n’aime pas le mien. Trop long, trop autoritaire, trop de «r» qui font barrière. Quand j’étais petite, je rêvais de m’appeler Sonia. Ou Lina, comme ma grand-mère.
J’ai retenu la leçon et juré que le prénom de mon premier enfant aurait au moins 3 «a», fille ou garçon. De quoi ouvrir ce nouveau-né sur le monde et que sa vie se chante a cappella. Ce fut fait et, depuis, «ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive. Elle court comme un ruisseau que les enfants poursuivent»… Plus concrètement, mon aînée étudie la socioanthropologie dans une capitale européenne qui vient d’être bousculée par l’actualité, je ne pouvais mieux espérer.
Et là, vient la question que tous les futurs parents se posent avec un mélange d’angoisse et d’excitation. Le prénom fait-il la personne? A-t-il ce pouvoir d’influencer le cours d’une vie? Je pense que oui. Et tous les dictionnaires de prénoms qui travaillent pour leur légitimation le pensent aussi. Une Irène ne sera pas de la même eau qu’une Lola. Un Jean-Albert ne vibrera pas à la même corde qu’un Matteo. Ou, comme le chante Linda Lemay dans «Alphonse», «Alphonse, ça s’lance pas en affaires/Ça s’fait manger la laine sur l’dos/Même si papa était prospère, Alphonse il repart à zéro».
Bien sûr, les rationnels diront qu’il peut y avoir des Pierre couards et des Pierre courageux. Des Alexandre expansifs et des Alexandre secrets. Des Bernard rigolards et des Bernard sérieux. Je ne pourrai que leur donner raison. Ce qui est sûr, et qui mettra tout le monde d’accord, c’est qu’il y a des prénoms interdits. Le tout aussi excellent film Le Prénom en fait la brillante démonstration avec Adolf, en effet un peu compliqué à porter.
Dans quelques jours, on fêtera les Nicolas, puis les Jésus. Plutôt les Nicolas, donc, car les Jésus ne courent pas les rues.
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