Ce qui se diten Suisse alémanique, par notre correspondante à Zurich
Imaginez que les déchets les plus radioactifs de Suisse soient enterrés sous les vignobles de Lavaux. Que le nom de Lavaux devienne à travers le pays le synonyme de poubelle nucléaire. La commune de Benken n’est pas classée au patrimoine mondial de l’Unesco et son vin n’est pas aussi connu, ni peut-être délicat, que celui des terrasses lémaniques. Mais le village est au cœur du «pays du vin» zurichois, et vendredi, il a appris que les déchets radioactifs du pays seraient – probablement – enfouis sous ses vignes. Il reste encore un autre lieu pressenti en Suisse pour cet entreposage souterrain.
Dans le seul bistrot du village ouvert lundi matin, Le Soleil, les critiques fusent à l’égard de la Société coopérative pour le stockage des déchets nucléaires (Nagra), qui a opéré ce choix. «C’est terrible pour l’image de notre vin, soupire un producteur. Les consommateurs vont croire que notre vigne est contaminée.»
L’humeur est morose dans la Gaststube en bois. Pourtant – et ça me frappe –, les habitués paraissent résignés. Ils sont tous d’accord qu’il «faut bien les enterrer quelque part», ces déchets. «Là où le sous-sol présente le moins de danger.» «Je sais que ça ne présente aucun risque pour notre vin, les déchets étant enfouis profondément, mais il faudra que la Nagra l’explique aux consommateurs.»
La Nagra, fondée par les producteurs de déchets radioactifs, assure qu’aucun argument politique ou social n’a dicté son choix; uniquement des considérations géologiques.
Les villageois ne la croient pas. Ce qui ne les empêche pas d’avaler la pilule attendue pour 2060 environ. C’est une leçon de résilience tout helvétique que nous offre Benken. «C’est vrai qu’il n’y a pas vraiment de résistance ici, moins que dans d’autres communes», note un retraité. Le producteur de vin fait bien partie du groupe d’opposition… sans y croire véritablement.
C’est une leçon de résilience, ou plutôt une leçon de management. Depuis 1993 déjà, la Nagra a repéré cette région et ses «argiles à opalinus», tout indiquées pour accueillir des déchets nucléaires. Le Conseil fédéral a rassuré les habitants en 2006 en indiquant que ce n’était qu’une option, qu’il y aurait d’autres sites étudiés. «Des scénarios hypothétiques.»
Six sites ont été retenus et de multiples séances d’information ont été organisées pour «impliquer les villageois». Et voilà que les deux derniers en lice sont justement les premiers choix de la Nagra. Entre-temps, la population a pu «participer», selon les autorités; elle s’est surtout habituée à l’idée. Une belle leçon de management.