«Votre congé maternité ne nous arrange pas, on vous faisait confiance» ou encore «ça va être difficile de vous garder si vous êtes enceinte»: ces petites piques déplacées, carrément sexistes voire illégales qui accueillent l’annonce d’une grossesse, la CGT des cadres n’en veut plus. Le syndicat français des ingénieurs et des techniciens a lancé, lundi, une campagne pour dénoncer les discriminations des mères au travail à travers le hashtag #viedemere. L’enjeu? Libérer la parole des femmes. Avec humour.

Sur le site de la campagne et sur Twitter, les témoignages s’accumulent, touchant tous les stades du parcours professionnel: de l’entretien à l’embauche en passant par le voyage d’affaires ou la promotion. Le florilège des phrases recensées en dit long sur les clichés humiliants qui entravent encore la maternité au travail. Comme si avoir un enfant était une tare, un boulet qui freine la carrière et complique la gestion des horaires de l’équipe.

La maternité, cet état trouble

Soupçonnée ou avérée, la grossesse est rarement bienvenue dans le milieu professionnel. Comme une ado qui demande la pilule du lendemain ou une mère célibataire dépassée par son enfant hyperactif, la future mère doit souvent affronter le regard de son ou sa supérieur(e). «Encore une enceinte? On va devoir distribuer des kits de contraception», se rappelle avoir entendu @anydouces en insistant sur le «rire gras débile» qui a suivi l’allocution de son chef. «En t’embauchant, tu ne m’as pas dit que tu voulais monter une équipe de foot», témoigne encore @nicelander78.

Age déterminant

Sans compter que l’âge joue un rôle. Etre mère trop jeune, c’est irresponsable. Trop vieille aussi, mais pas pour les mêmes raisons. «Je pensais être tranquille de ce côté-là avec vous!», lance une patronne à sa collaboratrice de 36 ans @arretemyriame. Si ces anecdotes déclenchent un sourire gêné, d’autres s’avèrent autrement plus choquantes. En annonçant à son chef sa «deuxième grossesse désirée», une internaute anonyme se voit gratifiée d’un délicat: «J’imagine que vous ne pouvez plus rien faire?»

Une autre VDM

Outre la grossesse, le retour au travail après un congé maternité n’est pas épargné par les clichés. La perfidie des collègues s’en charge. «Merci, on s’est tapé tout ton boulot pendant ta grossesse» ou encore «Ah, elle est revenue? Elle a perdu ses kilos?» Pire, il s’accompagne parfois d’un licenciement. Avec comme seule explication: «Tu comprends, tu as fait un choix…»

Si elle parvient à maintenir sa place, l’employée est sans cesse ramenée à son statut de mère. «Prends l’avion de 5h, tu es maman, tu as l’habitude, tu n’as pas besoin de dormir», se souvient Muriel. Dans ces cas-là, la vie de mère s’apparente presque à la #viedemerde, mot-clé viral qui rassemble expériences ratées et calimeros malchanceux. De temps à autre, les pères sont égratignés au passage: «Tu as trois enfants et tu travailles, mais ton mec ne gagne pas bien sa vie ou quoi?»

«Plafond de mère»

C’est que les working-mums souffrent d’une double discrimination. Au-delà du plafond de verre, leurs ambitions se heurtent au «plafond de mère». Autrement dit, «à l’ensemble des mécanismes économiques, managériaux et psychosociaux, qui entravent leur vie professionnelle», explique au Huffington Post, Marlene Schiappa, présidente de l’association Maman travaille. Nombre de femmes témoignent anonymement de la difficulté à concilier carrière et enfants. «Tu as déjà eu un congé maternité, tu ne vas pas avoir une augmentation en plus.» Il ne faudrait surtout pas trop en demander. Ou encore: «Pour ce poste, c’est prématuré. Il faut attendre que tes enfants soient grands et que tu reprennes à temps plein.»

«La lecture des #viedemere donne le vertige», déplore @alice_loffredo sur Twitter. Est-ce à dire que ces discriminations quotidiennes sont une fatalité? Bien sûr que non, mais seul un effort collectif permettra aux mères de s’émanciper. Certaines entreprises jouent déjà le jeu en proposant aménagements horaires, offres de garde et postes à responsabilités. Le regard de la société doit, lui aussi, évoluer. En dressant un constat alarmant, la campagne ne propose pas de solution miracle, mais a le mérite de donner de la visibilité à un sujet tabou. Qui prouve que le chemin est encore long pour faire comprendre que non, les femmes ne demandent pas le beurre et l’argent du beurre en voulant être mères tout en travaillant. En cela réside la véritable égalité.

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