revue de presse
Dimanche, la vaste mobilisation à Lyon et Paris en faveur de la famille met en exergue les conflits partisans entre la gauche au pouvoir et la droite dans l’opposition, qui se renvoient la balle. Pour certains, il est cependant urgent de prendre au sérieux ces rassemblements idéologiques qui, ouvertement, défient la République

Cela fait plusieurs jours que le fin lettré surfe sur la vague du genre. Car «c’est vraiment un miracle de la nature que LE féminin et LE masculin puissent engendrer», écrit-il. On ne peut s’empêcher, ce lundi matin, d’y voir évidemment un léger clin d’œil. D’une diable habileté, ce petit tweet de Bernard Pivot (@bernardpivot1)!
Car «les revoilà», ces «défenseurs de la famille hétéronormée et des «tout-petits», qui s’étaient tant mobilisés contre la loi Taubira sur le mariage gay». Ils «étaient à nouveau de sortie», écrit Libération. Vous les avez certainement vues, ces plusieurs dizaines de milliers de manifestants qui ont défilé – calmement, il est vrai – dimanche à Paris et à Lyon? Pour protester contre la politique familiale du gouvernement, contre sa «familiphobie», le néologisme en vogue. «Le gouvernement ne nous entend pas, ne nous voit pas et ne nous compte pas», disent-ils.
D’inspiration chrétienne
En clair, dans l’esprit de la Manif pour tous, lit-on dans Le Huffington Post, «toutes les familles ne se valent pas»: elles «ne sont pas égales car d’une part, seuls l’homme et la femme peuvent procréer, et d’autre part un père et une mère ce n’est pas la même chose. Seule la famille père-mère-enfant respecte l’enfant», explique-t-on dans l’entourage de la présidente du mouvement, Ludovine Dutheil de la Rochère, née Mégret d’Etigny de Sérilly, ancienne professeure de collège et chargée de communication à la Fondation Jérôme-Lejeune, d’inspiration chrétienne, une des principales associations du mouvement pro-vie en France, militant contre l’IVG ou l’euthanasie.
Mais «accusés d’obscurantisme par une partie de la majorité, les politiques proches de la Manif pour tous se défendent d’avoir une vision rétrograde». Surtout s’ils sont contre le mariage homosexuel. Cette Manif pour tous appelait donc à la mobilisation pour une institution qui serait menacée. Les participants soupçonnent le gouvernement de vouloir étendre la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes à l’occasion du débat parlementaire sur la future loi sur la famille et de chercher à légaliser la gestation pour autrui (GPA) avant la fin du quinquennat.
«On a peur de tout ça»
Sur le site de TF1, une mère de famille explique donc «qu’elle préfère prendre les devants», car pour elle, la PMA et la GPA, «ce n’est qu’une question de temps»: «Ça viendra sûrement, on en est presque sûr, on a peur de tout ça.» Et de parler «du mariage homosexuel comme de quelque chose qui «lui est tombé sur la tête», elle ne s’y attendait pas du tout et regrette d’avoir eu à expliquer «ça» à ses enfants. Une expérience qu’elle n’a pas envie de revivre et donc elle préfère manifester de façon préventive.»
Pourtant «ces dispositions ne sont pas prévues dans la loi Taubira autorisant le mariage entre personnes du même sexe, mais les manifestants redoutent» de les voir légalisées, explique France 24. Et ce n’est pas tout. Car la manif intervient aussi après une autre polémique, celle «sur une expérimentation, dans des écoles primaires françaises, de cours pour lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Ses opposants y voient un début d’enseignement de la «théorie du genre, qui nie l’altérité homme-femme».
La rumeur…
Le sujet, on l’a vu, provoque pas mal de remous depuis quelques jours. Lundi dernier, des dizaines de parents d’élèves ont par exemple retiré leurs enfants de l’école pour protester, «suivant les conseils de Farida Belghoul, figure de proue des anti-racistes dans les années 80 et désormais proche de l’association d’extrême droite Egalité et Réconciliation». On croit rêver, mais «selon elle, l’école serait en passe d’imposer une éducation sexuelle – avec exercices pratiques – dès la maternelle et d’enseigner aux enfants qu’ils «ne naissent pas fille ou garçon mais décideraient de le devenir». La rumeur a notamment fait mouche auprès des familles de confession musulmane.»
Du coup, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a exprimé son inquiétude face à ce climat, évoquant «la création d’un Tea Party à la française» en référence à l’aile ultra-conservatrice des républicains américains. Il s’est ainsi attiré les foudres de l’UMP, qui l’accuse de vouloir promouvoir un «noyau dur» de l’opposition pour l’affaiblir. Une comparaison fâche notamment la droite. Elle renvoie au 6 février 1934, «lorsque des ligues d’extrême droite essayaient de marcher sur le Palais-Bourbon, provoquant des émeutes», se souvient La Voix du Nord. «Le point commun avec les années 1930, c’est cet antirépublicanisme et la détestation violente dans les mots comme dans les actes de nos valeurs et de nos principes», estime le ministre.
«Les cyniques nihilistes»
Dans ce contexte, l’important, pour L’Humanité, est de «répliquer, partout et en toutes circonstances, pour combattre sans merci les cris haineux, racistes, antisémites, homophobes, sexistes et les pensées crépusculaires des cyniques nihilistes qui banalisent le rejet de la République»… Mais Manuel Valls, dit Le Figaro, «qui jadis a soutenu tant et tant de manifestations dites «légitimes» de la gauche, ferait bien de revenir à une vision plus démocratique des choses».
«N’y aurait-il rien d’autre à opposer au désordre extrémiste que les forces de l’ordre?» renchérit La Dépêche du Midi: «Il serait temps de prendre au sérieux ces rassemblements, manifestations et prises de paroles qui, ouvertement, défient la République. […] En peu de temps, nous avons vu le pavé occupé par des groupes extrémistes de la pire engeance, la face obscure du pays.»
«Aussi caricatural que maladroit»
Le quotidien catholique La Croix juge, lui, que «les cortèges ont installé un véritable rapport de force avec le gouvernement», qui «devra en tenir compte». Et Ouest France regrette que, «depuis le mariage pour tous, la majorité ne cesse de remuer les sujets qui fâchent». Dans la foulée, L’Alsace estime que «le zèle déployé par le gouvernement à présenter la société française comme une masse aussi arriérée que réactionnaire est cependant aussi caricatural que maladroit». Ainsi, «il est extrêmement délicat de gouverner en courant le risque de jeter les Français les uns contre les autres», prévient-elle.
Et maintenant, la question est, comme la pose Radio France internationale: «Cette France catholique pratiquante, qui déteste la gauche, surtout quand elle est au pouvoir, elle vote à droite ou à l’extrême droite? Début de réponse, dans six semaines, aux municipales. François Hollande, ce grand traumatisé du 21 avril 2002 lorsque le candidat du Front national était arrivé en seconde position à la présidentielle, a le FN en détestation. Mais de fait, et les socialistes le reconnaissent, par le jeu des triangulaires le FN permettra à la gauche de sauver des villes.»
Mais ce qu’il y a de sûr, lit-on dans une analyse publiée par Mediapart, «après la rue, la France réac veut peser dans les urnes».
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