Le CICR, en principe, ne choisit pas ses causes ou les cibles de ses interventions. Il est neutre. La Centrale sanitaire suisse ne l’a jamais été. L’historien Pierre Jeanneret vient de consacrer à cette petite ONG liée au mouvement communiste une étude empathique qui est aussi le récit d’une aventure peu ordinaire. Elle commence au début de 1937.
L’Espagne vient d’entrer en guerre civile. Staline se rallie du bout des lèvres à la non-intervention franco-britannique, mais en même temps mobilise le Komintern pour soutenir de toutes les manières la République assiégée par les généraux factieux: propagande intense, combattants (les Brigades), armes. Pour soigner les blessés, une «croix rouge prolétarienne», la Centrale sanitaire internationale, se constitue à Paris, et une filiale suisse est aussitôt fondée par un médecin communiste zurichois, Hans von Fischer, et son confrère lausannois Ernest Jaeggi, un sympathisant. La CSS envoie au front ses ambulances, ses médecins et ses infirmières, et du sang préservé grâce à un procédé nouveau développé à Genève. Pour financer son action, elle fait appel à la générosité du public, par exemple en organisant une loterie dont les prix sont des œuvres d’art: Ramuz donne un manuscrit.
La CSS survit à la Retirada mais, quand le PC est interdit en Suisse, le soupçon s’étend bien sûr à ces «médecins judéo-marxistes», comme dit élégamment la police fédérale, qui les surveille de près.
A la fin de la guerre, les docteurs rouges trouvent un autre terrain d’intervention en Yougoslavie, dans la guérilla titiste, pour pratiquer à la chaîne des amputations dans des conditions épouvantables.
Après un temps de somnolence, la centrale retrouve une énergie juvénile pour aller prêter main-forte aux communistes vietnamiens contre l’impérialisme yankee, forcément détesté. Les liens noués sont alors très forts, en particulier avec la doctoresse Duong Quynh Hoa, ministre de la Santé du Viêt-cong dans le maquis. Si forts que, quand la Suisse reconnaîtra finalement le Vietnam du Nord, en 1971, Hanoï refusera de recevoir son ambassadeur tant que la CSS n’aura pas reçu de la Confédération le subside qu’elle demande…
Les membres de la Centrale ne sont pas tous communistes, et les débats internes ne sont pas rares. Il n’empêche que l’effondrement du système soviétique a ouvert une ère nouvelle. Les réalités géopolitiques sont devenues, comme dit Jeanneret, plus complexes: où sont les oppresseurs, où sont les opprimés? Mais où étaient-ils avant? La CSS les trouve encore au Proche-Orient, parmi les Palestiniens, et en Amérique latine. La page rouge est cependant bel et bien tournée.