Genève! C’est la ville de Suisse la plus embouteillée, où l’on circule moins bien que dans des métropoles comme Hong Kong, Singapour ou Wuhan. Une ville dont les habitants perdent en moyenne 18 jours par an bloqués dans des embouteillages. Imaginons le boulevard des Tranchées au croisement de la rue de l’Athénée. Les feux sont au rouge. Les moteurs tournent. Rien ne bouge et pourtant sur la rue de l’Athénée pas une voiture, pas un vélo, pas un piéton. Multipliez l’exemple par cent…

On estime que deux tiers de la population mondiale, c’est-à-dire quelque 6 milliards d’habitants, vivront dans des villes en 2050. Ces villes, pour assurer leur existence, ont besoin de ressources, qu’elles soient humaines ou matérielles Or ces ressources doivent par définition être transportées là où leur besoin se fait sentir. Ainsi, gérer la mobilité équivaut à gérer une partie de la planète; une science dans laquelle la Chine est en train de prendre le dessus.

Pour gérer les villes du futur, le gouvernement chinois a créé en 1999 le Centre national pour le transport intelligent (CNTI). Les autorités chinoises ont décidé de ce centre après avoir conclu que pour garantir aux habitants un minimum de qualité de vie, les villes, que ce soit celles du passé comme celles du futur, ne pouvaient tout simplement pas être gérées selon des protocoles traditionnels. Il fallait donc reconcevoir la façon dont la ville s’articulait sur elle-même en intégrant dans un même libellé l’usager des moyens de transport, le moyen de transport et enfin l’espace, c’est-à-dire les rues disponibles. Or cette intégration exigeait que l’on recueille simultanément un tel nombre de données que les technologies traditionnelles n’étaient plus en mesure de les traiter.

Pour promouvoir ce qui fut qualifié de «ville intelligente», le CNTI créa trois projets pilotes, dont le plus grand, Shenzhen, fut attribué à Huawei.

Il y a quarante ans, Shenzhen était un village de pêcheurs à la frontière de Hong Kong. Aujourd’hui c’est une métropole de 21 millions d’habitants qui, avec 530 voitures par kilomètre de route, détient le record de la plus forte densité de voitures pour une ville chinoise.

Transformer Shenzhen en «ville intelligente» exigeait d’abord que, conceptuellement, on perçoive la mobilité comme un tout intégrant transports publics, voitures privées, piétons et deux-roues.

Ce principe étant acquis, Huawei fut mandaté pour créer un système intelligent de gestion du trafic intégrant le cloud computing, l’intelligence artificielle et le big data, le tout opérant en temps réel.

Ce système comprenait trois composantes. L’entrée des données, leur traitement et enfin leur gestion. Pour permettre le recueil des données, Shenzhen fut recouverte d’un réseau de caméras qui scannaient en permanence l’ensemble du réseau routier. Il était évident que la quantité de données produites était telle qu’il n’existait aucun système capable à la fois de les gérer en temps réel et de produire une solution immédiate. Huawei fut donc amené à créer un trafic brain, c’est-à-dire une plateforme intelligente qui pouvait non seulement intégrer les données soumises par quelque 20 000 caméras mais aussi les utiliser pour gérer, en fonction du trafic et en temps réel, l’ensemble du réseau des feux de circulation.

Le résultat, sur le plan pratique, c’est que les feux sont désormais gérés en fonction des réalités du trafic sur l’ensemble du réseau et non seulement feu par feu. Ainsi, par exemple, à un carrefour les feux passent au rouge sur la voie principale uniquement s’il y a des voitures ou des piétons en attente sur les voies latérales. Quant aux voies cyclables, elles sont intégrées au système en fonction du nombre de cyclistes. Ainsi la durée des feux, rouges ou verts, est déterminée par les conditions de trafic et varie constamment en fonction des données reçues par le trafic brain.

Si Shenzhen est encore en partie à l’état de projet, le concept n’est pas passé inaperçu sur le plan mondial. En 2013, l’Allemagne a signé un partenariat pour l’urbanisation avec la Chine et en 2018, Duisburg et Huawei ont signé un accord pour la création d’un écosystème comprenant une «ville intelligente» qui intégrerait transports en commun, transports par voiture, pistes cyclables et voitures autonomes dans un trafic brain basé sur le cloud.

Et Genève? On peut rêver.

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