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Une loi sur les médias électroniques sans vision

OPINION. L’avant-projet de la loi sur les médias électroniques (LME) mis en consultation jusqu’à mi-octobre est loin d’être satisfaisante, explique Jürg Ruchti, directeur de la Société suisse des auteurs (SSA). L’approche suisse tranche avec les discussions en cours au niveau européen

Photographie d'une installation médiatique. — © Peter Klaunzer/Keystone ©
Photographie d'une installation médiatique. — © Peter Klaunzer/Keystone ©

C’est un désolant manque de vision que dégage l’avant-projet de la loi sur les médias électroniques (LME) mis en consultation jusqu’à mi-octobre. Si l’administration fédérale déclare que le projet «est adapté à notre époque et permet de soutenir non seulement la radio et la télévision, mais aussi les médias en ligne», on constate une quasi-absence de dispositions concernant les offres dites délinéarisées, par opposition aux services linéaires que sont les programmes de télévision et de radio traditionnels.

Que dit la directive européenne?

Le projet de LME tranche singulièrement avec la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) de l’UE, qui est en phase finale de développement. Celle-ci prévoit quatre axes:1. mettre les services de médias non linéaires au même niveau que les services linéaires, y compris les parties des réseaux sociaux et des plateformes de partage de vidéos qui sont assimilables à des offres à la demande;2. renforcer le principe du pays d’origine et donc la sécurité juridique en clarifiant la réglementation applicable aux offres transfrontières;3. promouvoir les contenus européens dans tous les services de médias, linéaires et non linéaires;4. encourager la diversité culturelle par l’exception du «pays ciblé», c’est-à-dire que les Etats membres peuvent exiger également des services de médias établis dans un autre territoire de contribuer à l’industrie audiovisuelle locale – forte du constat qu’un tiers des services ciblent un autre marché européen que celui où ils sont établis.

Face à cette révolution des écrans, le laisser-faire à l’égard d’entreprises qui ne respectent guère les artistes ni la protection des mineurs est incompréhensible

Dans l’avant-projet LME, on ne trouve pas trace d’une harmonisation générale entre les médias linéaires et non linéaires, ni de mesures qui contribueraient à renforcer le secteur audiovisuel indépendant suisse. Alors qu’il dit vouloir «renforcer l’ensemble de la place suisse des médias», il fait abstraction des nouveaux acteurs du marché audiovisuel qui conquièrent chaque mois un peu plus d’audience et une part exponentielle du marché publicitaire: les prestataires de vidéo à la demande, mais surtout les plateformes de partage de vidéos et les réseaux sociaux. Ceux-ci affronteront sous peu de manière frontale les organismes de diffusion avec toute la puissance que le leur permet la globalisation. Le safe harbour les dédouane de responsabilités et leur confère un avantage concurrentiel injustifié. Le marché de la publicité en ligne contracte les marchés des autres supports. Face à cette révolution des écrans, le laisser-faire à l’égard d’entreprises qui ne respectent guère les artistes ni la protection des mineurs, qui exploitent le marché suisse sans contrepartie suffisante pour notre économie, est incompréhensible. Dans la même veine, les fenêtres publicitaires suisses des télévisions étrangères pourraient continuer à engranger des recettes qui dépassent aujourd’hui le budget total de la RTS.

Des propositions correctives

Par ailleurs, la SSR serait définitivement interdite de publicité en ligne, alors qu’on lui demande précisément de développer son offre délinéarisée. La suppression de l’obligation d’annonce des médias rendra l’observation du paysage audiovisuel suisse pour le moins fastidieuse. Enfin, les dispositions concernant la nouvelle Commission des médias électroniques manquent de substance.

Le secteur de l’audiovisuel indépendant suisse formulera des propositions correctives. Il demandera que les prestataires d’offres non linéaires et les fenêtres publicitaires de programmes étrangers ciblant notre marché contribuent également au financement de nos créations audiovisuelles, générant ainsi de la valeur en Suisse. C’est indispensable si la Suisse ne veut pas se retrouver en 2025 avec une loi qui reflète le monde de… 2005.