UNESCO: la Suisse a-t-elle poliment cédé sa place aux Etats-Unis?
Opinion
François Nordmann s'interroge sur le retrait de la candidature suisse au Conseil exécutif de l'institution onusienne

La Suisse a retiré précipitamment sa candidature au Conseil exécutif de l’UNESCO. Le groupe occidental auquel elle appartient devait renouveler six sièges. Il présente sept candidats: la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Italie, la Grèce et l’Espagne aux côtés de notre pays. C’est un de trop pour garantir une élection sans lutte électorale. Cinq des candidats sont membres de l’UE; laisser un siège à un Etat non-membre ne diminuerait pas le poids de l’UE. Mais le plus vulnérable n’est peut-être pas celui que l’on croit.
Depuis 2013, les Etats Unis, tout en restant membres de l’organisation, sont privés de leur droit de vote à la Conférence générale, parce qu’ils ont cessé de payer leur contribution obligatoire à l’organisation depuis plus de deux ans. En effet, une loi interdit au gouvernement américain de participer aux frais de toute organisation internationale dont la Palestine serait membre, ce qui est le cas depuis 2011. Le gouvernement américain s’est débattu contre l’application de cette loi surannée; mais le Congrès a biffé la ligne budgétaire prévue pour l’UNESCO. L’organisation a donc été privée chaque année depuis lors de 70 millions de dollars, soit un cinquième de son budget. Les Etats-Unis ne versent plus non plus de contributions volontaires aux programmes qu’ils apprécient.
L’administration Obama se pose en victime
L’administration Obama cherche à collaborer tant bien que mal avec l’organisation. Elle se pose en victime de la rapacité du Congrès. Elle voit dans l’UNESCO un rempart contre l’extrémisme. On peut penser que, dans le cas d’une élection ouverte, Washington aurait eu beaucoup de difficultés à convaincre une majorité d’Etats du bien-fondé de sa présence au Conseil exécutif. Un pays ne saurait influencer la politique de l’organisation sans payer sa cotisation. Cependant les Occidentaux se souviennent des années 1980, quand les Etats-Unis ont carrément quitté l’organisation pendant près de vingt ans, et souhaitent éviter d’en arriver là. La Suisse s’est donc inclinée devant cette logique en retirant sa candidature peu avant l’ouverture de la 38e Conférence générale qui commence aujourd’hui.
Si elle s’était maintenue, elle aurait pu servir de véhicule aux Etats qui entendaient manifester leur mauvaise humeur à l’égard de l’Amérique en l’écartant du Conseil exécutif. Nous n’avons pas voulu cela… Isolés, nous n’avons pas pu obtenir non plus que l’UE modère ses appétits. Membres permanents du Conseil de sécurité ou patrie des grands courants formateurs de la culture européenne, aucun de nos concurrents n’était prêt à céder sa place. Nous avons alors maugréé que nous devions après tout tenir compte de nos autres intérêts, la candidature au Conseil des droits de l’homme, le financement de la rénovation du Palais des Nations…
Mais ce dernier est avant tout un intérêt des Nations Unies et des Etats membres, accessoirement de l’Etat hôte, qui n’est pas responsable du projet.
Une bataille qui n'a pas eu lieu
La bataille pour le Conseil des droits de l’homme n’a pas eu lieu. Il y avait trois candidats pour trois sièges, la Suisse a recueilli 176 voix, devançant ses colistiers européens, la Belgique et l’Allemagne. A aucun moment son siège n’a été en danger! Le DFAE a remporté une grande, une terrible bataille… sans coup férir. Apparemment les pointages étaient moins optimistes pour ce qui est de la Conférence Générale de l’UNESCO. Mais fallait-il pour autant renoncer à livrer bataille?
Est-ce du délire que d’imaginer qu’il y aurait pu y avoir une discrète intervention américaine, un coup de fil de l’ami John Kerry par exemple, qui aurait prié la Suisse de reconsidérer sa position? Et qui se serait engagé en échange à ne pas freiner les travaux du siège genevois de l’ONU? Nous ne le saurons sans doute pas avant longtemps mais cet épisode peu glorieux doit bien avoir sa raison d’être.
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