Pour plusieurs raisons qui ont été expliquées dans ces colonnes (Le Temps du 18 avril), le Parti socialiste suisse (PSS) a décidé de reporter l’examen d’un Espace économique européen (EEE) 2.0 à son congrès du mois de décembre. L’auteur de ces lignes fait partie d’un groupe de militants qui s’oppose à ce concept d’EEE bis et qui prône, après la sortie de l’impasse créée par l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse», le lancement d’un processus d’adhésion à l’Union européenne (UE).

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Dans le document de la direction du parti, on peut lire que «la Suisse doit envisager le développement d’un EEE 2.0, qui regrouperait d’une part les Etats qui ne sont pas membres de l’UE et qui désirent disposer d’un cadre de coopération mieux structuré qu’une centaine d’accords épars et, d’autre part, des Etats européens qui n’entendent plus suivre le rythme dicté par les organes bruxellois.» Cette déclaration nous paraît par trop prétentieuse. A-t-on sondé ces Etats? Savons-nous ce que veulent vraiment ces Etats? Combien sont-ils et qui sont-ils? A l’évidence, la réponse est trois fois négative.

Une adhésion à l’UE serait plus favorable à la croissance

Une adhésion à l’Union serait plus favorable à la croissance – et donc à l’emploi – qu’une entrée dans l’EEE. Notamment parce que l’EEE n’est pas une zone de libre-échange totalement autonome, mais une annexe de l’Union. Une annexe dont les règles de fonctionnement sont dictées par l’Union, dont les 28 membres – ne l’oublions pas – sont d’office membres de l’EEE. Certes, une adhésion de la Suisse à l’EEE consoliderait sa participation au grand marché et permettrait son accès aux quatre libertés fondamentales. Mais elle obligerait la Suisse à mettre en œuvre les directives et les normes européennes (libre circulation des biens, des capitaux et des services, notamment) sans pouvoir participer à leur élaboration tout en devant payer une contribution au budget européen! Et comme en plus des 28 membres de l’UE, l’EEE ne concerne que l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein, Bruxelles n’a probablement pas très envie de s’engager dans une négociation mammouth pour la seule petite Suisse.

Dès lors, il apparaît que la souveraineté de la Suisse serait mieux garantie via une adhésion à l’Union que par un EEE 2.0. L’Union a encore beaucoup d’efforts à faire en matière de développement démocratique. Il n’en reste pas moins:

• que l’Union a une forme de gouvernement avec le Conseil européen et la Commission européenne, ce qui n’est pas le cas dans l’EEE;

• que l’Union dispose d’un Parlement, ce qui n’est pas le cas de l’EEE;

• qu’un embryon de droits populaires a vu le jour dans l’Union, avec l’initiative citoyenne européenne (ICE). De tels droits, essentiels dans une optique suisse, n’existent pas dans l’EEE.

Etre dans l’Union est plus efficace

Mais comment un syndicaliste qui a souvent été très critique sur les politiques socio-économiques de l’Union, ainsi que sur sa stratégie en matière de migrations peut-il prôner de telles thèses? Tout simplement parce que c’est en étant dans l’Union, et non pas en dehors, que nous contribuerons à l’orienter dans un sens plus démocratique, plus social et plus écologique. Je suis d’ailleurs en bonne compagnie, puisque Jeremy Corbin, leader du Parti travailliste issu de son aile gauche, défend le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. J’ai aussi la conviction qu’en étant dans l’Union, le PS, les autres partis de gauche et le mouvement syndical participeraient plus efficacement aux luttes de la gauche politique et syndicale européenne, à propos, par exemple, du projet de directive sur les travailleurs détachés. Comme disait Jean Jaurès: «Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène.»

Pour être concrets, nous proposons que le PSS invite le Parti socialiste européen (PSE), les autres partis de gauche et le mouvement syndical à lancer deux initiatives citoyennes européennes (ICE), l’une destinée à combattre le dumping social et salarial, l’autre visant à instaurer une harmonisation de la fiscalité européenne. Dans les pays européens qui ne sont pas membres de l’UE, ces deux ICE prendraient la forme de pétitions. C’est par de tels pas que l’on construira une Europe socialiste, comme le souhaite la direction du PSS.


Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical

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