ÉDITORIAL. La course au vaccin contre le coronavirus pousse certains pays à préempter les futures doses. Une démarche compréhensible, mais qui a plus de chances d’échouer que de réussir

C’est humain. Face au danger, il faut protéger sa propre personne et ses proches. Ce qui vaut pour un individu vaut aussi pour un Etat. Face à la pandémie, des gouvernements passent des accords avec des entreprises pharmaceutiques afin qu’elles leur garantissent l’accès à un futur vaccin contre le coronavirus. Cette volonté est légitime. L’impréparation des gouvernants face à un risque prévisible a suscité tant d’incompréhension et de colère qu’il serait absurde de leur reprocher aujourd’hui de préparer la phase suivante. Pourtant, cette approche nationale n’est pas la bonne. Et même ceux que le principe d’une hypothétique solidarité mondiale n’émeut pas ont intérêt à en prendre conscience.
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L’histoire médicale montre que seuls 10% des essais débouchent sur un vaccin efficace. Un pays qui préempterait les recherches d’un laboratoire de manière exclusive pourrait faire une très bonne affaire – c’est le pari qu’ont fait les Etats-Unis, la Chine, la Russie ou encore l’Europe. Mais il y a neuf chances sur dix qu’il s’en morde les doigts. Second argument froid et rationnel: une pandémie jugulée dans un pays grâce à une percée scientifique serait une bonne nouvelle, mais à quoi cela lui servirait-il si ses partenaires commerciaux étaient encore à l’arrêt? La reprise tant espérée aurait-elle lieu dans une économie mondiale si imbriquée?
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C’est là qu’intervient l’initiative Covax lancée par l’Organisation mondiale de la santé, Gavi (Alliance du vaccin) et la CEPI (Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies). L’idée est simple: convaincre les Etats riches qu’il vaut mieux mutualiser les risques. Si leur tentative individuelle échoue, ils bénéficieront d’une réussite ailleurs, tout en garantissant aux Etats pauvres un accès équitable. Plus de 70 nations ont exprimé leur intérêt pour cette initiative dont la Suisse peut, à juste titre, s’enorgueillir d’assurer la coprésidence. Et face à des capacités de production insuffisantes pour vacciner d’un coup toute l’humanité, les promoteurs de Covax osent, là encore, une approche froide et rationnelle: cibler successivement le personnel soignant, les groupes à risques, les populations des zones où la pandémie est la plus active et, enfin, le reste d’entre nous. La course au vaccin n’est pas encore gagnée, mais elle nous enseigne déjà que notre instinct de survie n’est pas toujours le meilleur conseiller.
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Il y a 5 mois
Dans le concert hystérique de la course au vaccins et les angoisses d'un population que l'on s'est appliqué à effrayer (votre journal en porte aussi une forte responsabilité), le ton mesuré de votre article est appréciable. Il ne participe pas moins hélas à la croyance erronée selon laquelle la mise au point d'un vaccin sera la panacée. Or vous savez bien que ce type de virus est en constante mutation, à l'instar des virus de l'influenza. Comme pour ces derniers, un éventuel vaccin n'aurait qu'une efficacité réduite (que l'on estime annuellement à quelques 20 à 30%), alors que, de toute évidence, l'épidémie est terminée depuis le mois de mai. Le nombre fluctuant de contaminations n'est en rien révélateur de la gravité d'un virus, on le sait très bien. Chaque année, toutes sortes de virus plus ou moins graves circulent en Suisse, sans même qu'on se donne la peine de tester 803'000 personnes (chiffre de ce lundi 3 août 2020). On serait alors peut-être effaré de voir le nombre de personnes contaminées par ces divers virus, alors que très peu d'entre elles se retrouvent à l'hôpital (et encore moins en meurent). C'est exactement ce que l'on constate actuellement. Tout le reste n'est que gesticulation, comme le dit très bien Monsieur Didier Sornette de l'EPFZ, interrogé ce jour dans vos colonnes.
Il y a 5 mois
Quand je lis certains commentaires, ici et sur les réseaux sociaux, je me rends compte à quel point les concepts de santé publique, de limitation des risques et de principe d'incertitude sont difficiles à assimiler de manière concrète par certains. Il est plus facile eux de voir la manipulation partout plutôt que d'accepter que nos systèmes et sociétés sont plus fragiles que l'on ne croit, et que se préparer au pire est en effet le travail des dirigeants.
Je trouve, contrairement à certains, que votre journal est souvent très raisonné et raisonnable dans ses analyses. Continuez ainsi!
Il y a 4 mois
"les promoteurs de Covax osent, là encore, une approche froide et rationnelle: cibler successivement le personnel soignant, les groupes à risques, les populations des zones où la pandémie est la plus active et, enfin, le reste d’entre nous" ... si cet ordre de priorités est plus ou moins universellement accepté et pratiqué ensuite, il y a bel espoir de réussir un exploit à échelle global: stopper sec la pandémie en peu de temps.