Incidences

Un monde inquiet en quête de stabilité

Tout le monde s’attend à une année 2014 difficile: nombre de conflits non résolus subsistent dans le monde sans que les grandes puissances se montrent capables de les maîtriser. S’agit-il de manque de capacité? de volonté? de vision stratégique? La question se pose à propos de la politique américaine et occidentale. Les Etats-Unis ne sont plus prêts à intervenir militairement s’ils peuvent l’éviter: aussitôt on leur fait le procès de se désintéresser des affaires du monde, de se désengager de la grande politique mondiale. Les Européens ne valent guère mieux: aucun Etat, sauf la France, n’était disposé à frapper la Syrie l’an dernier, même après l’emploi avéré d’armes de destruction massive. L’accord intérimaire avec l’Iran n’a pas dissipé toute ambivalence quant au programme nucléaire iranien. L’OTAN retire ses troupes d’Afghanistan, en dépit du risque de voir les talibans y retrouver la position dominante que l’Alliance était venue détruire. Enfin les conflits asiatiques sont lointains, ils paraissent localisés et ils ne regardent au fond que les pays bordiers du Pacifique. Cette passivité traduit la lassitude des peuples affectés par la récession économique la plus dure depuis les années 30; le refus d’aller faire la guerre pour des causes mal expliquées ou mal perçues; la division au sein des électorats.

De nos jours, la sécurité est devenue multiforme: le territoire n’est plus menacé au sens classique du terme, mais les réseaux de transport ou d’électricité peuvent être paralysés par une cyberattaque, même aux Etats-Unis; le terrorisme reste suspendu au-dessus de nos sociétés comme l’épée de Damoclès. Le changement climatique ne connaît pas de frontières. Nous ne sommes pas en guerre, il s’en faut de beaucoup, mais nous sommes tous dépendants de la qualité des renseignements que nous sommes en mesure d’obtenir: d’où le débat sur la part de liberté et l’étendue de la sphère privée que nous sommes d’accord de sacrifier pour assurer notre sécurité sournoisement mise en cause.

Ces réflexions sur l’état de notre monde ont servi de toile de fond à deux grandes rencontres qui se tiennent rituellement au début de l’année à Davos et à Munich. Le Forum économique mondial, à fin janvier, cherche à réunir les hommes d’Etat et les capitaines d’entreprise, financiers et diplomates sur une foule de thèmes économiques, sociaux et politiques dans le but de changer le monde. La Conférence sur la sécurité de Munich, au début de février, se consacre depuis cinquante ans aux problèmes de sécurité et de défense, souvent avec les mêmes acteurs qu’on a pu voir dans la station grisonne. Vaste forum des relations transatlantiques, elle a élargi son domaine d’intérêt aux grandes questions de l’heure – Asie, Proche-Orient, Europe orientale, etc. Elle est considérée comme la meilleure du monde de sa catégorie, selon un classement réalisé par l’Université de Pennsylvanie.

Les Américains présents ont vigoureusement réfuté l’idée que l’Amérique se retirerait du monde. Il n’y a en fait pas un seul secteur politique ou géographique où les Etats Unis ne soient engagés, que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie… John Kerry a répété avec force ce message qu’il avait commencé à marteler à Davos, amplifié par le président Obama dans son récent discours sur l’état de l’Union.

Un accent nouveau a été donné par le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Frank-Walter Steinmeier. Faisant écho aux propos du président allemand, Joachim Gauck, il a laissé entendre que l’Allemagne devait mieux assumer sa part de responsabilités internationales et se montrer plus présente dans les opérations militaires montées avec l’appui de l’Union européenne, de type Mali ou Centrafrique (l’Allemagne y envoie 600 hommes). Un récent accord avec la France pourrait donner une nouvelle dimension à la participation allemande à la politique de défense commune. Et l’intérêt marqué pour l’Europe de l’Est que l’on cultive à Berlin n’est plus exclusif: on y est tout aussi conscient que la sécurité de l’Europe est aussi en cause au sud de la Méditerranée. Un subtil rééquilibrage a lieu, remarqué par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen: les pays du Sud se préoccupent eux-mêmes maintenant comme jamais du partenariat oriental et notamment ces jours-ci de l’Ukraine. L’Allemagne pourrait aussi subtilement renforcer son partenariat avec la Russie, usant davantage de son influence et mettant une sourdine à la critique du régime de M. Poutine.

M. Steinmeier a été ministre des Affaires étrangères une première fois de 2005 à 2009. La grande coalition de 2013 lui a valu de retrouver son poste. En rentrant dans son bureau, il s’est exclamé: rien n’a changé ici, c’est le même décor, la même table de travail! Mais au cours des quatre années écoulées, c’est le monde qui a profondément changé!

Comme pour démentir ces propos, la Conférence sur la sécurité de Munich a aligné cinq grands anciens qui avaient participé au début de cette manifestation en 1964, et qui sont âgés de 80 à 95 ans aujourd’hui: Helmut Schmidt, Henry Kissinger, Valéry Giscard d’Estaing, Zbigniew Brzezinski, Egon Bahr… Pour eux, l’Alliance atlantique reste l’indispensable dénominateur commun. A condition de se rénover.

Les Américains ont vigoureusement réfuté l’idée que les Etats-Unis

se retireraient du monde.

A Davos et à Munich, John Kerry a martelé ce message

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