En 1992, les Verts vivaient un Röstigraben, à l’image de la Suisse. Les Verts alémaniques s’opposaient majoritairement à l’EEE, en raison des préjudices écologiques qu’une adhésion aurait pu susciter et par crainte de voir diminuer les droits démocratiques. La majorité des Verts romands souhaitait, quant à elle, faire face aux problèmes européens avec l’Europe et considérait l’EEE, malgré ses faiblesses, comme une étape d’un processus d’intégration jugé souhaitable. Ces divergences se sont toutefois rapidement estompées. En 1994, le parti prenait la voie du soutien à l’intégration et appuie depuis lors le projet d’adhérer à l’Union européenne.

Les Verts ont ainsi toujours été plus favorables à la voie de l’adhésion qu’à celle des bilatérales, même s’ils ont finalement soutenu ces dernières, faute de mieux. Le bilatéralisme est un processus lent, lourd et incertain. L’adaptation des accords aux modifications survenant au sein de l’UE implique des négociations incessantes. Notre pays n’a pas la possibilité de participer au processus législatif européen et doit de plus en plus souvent adapter ses lois aux normes européennes. Dans ce contexte d’application autonome, nous n’obtenons aucune contrepartie de l’UE, comme ce fut notamment le cas lors de l’application unilatérale du principe du Cassis de Dijon, au détriment d’ailleurs des consommateurs et des producteurs suisses. On peut se demander de quelle souveraineté l’on parle alors que chacune de nos nouvelles lois est de facto examinée sous l’angle de son adéquation avec le droit européen.

Aujourd’hui, la voie bilatérale atteint ses limites. Les Suisses ne semblent malgré cela pas prêts à envisager une adhésion. Les déboires budgétaires de pays comme la Grèce et les tensions autour de l’euro ne sont pas pour les rassurer. Chez certains Verts, en particulier en Suisse alémanique, la prudence est également de mise face à une Europe perçue comme centralisatrice et bureaucratique. Doit-on pour autant condamner l’Europe comme institution, parce que certains de ses membres sont touchés par les suites de la crise financière? Doit-on s’opposer à elle parce que certaines de ses décisions nous déplaisent? Doit-on lui tourner le dos parce que son organisation est imparfaite? L’Europe est un projet. Un projet dont les objectifs premiers de paix et de solidarité sont toujours d’actualité, un projet qui offre un cadre démocratique et institutionnel indispensable à la gestion d’une multitude d’enjeux dépassant nos frontières, un projet qui est en constante évolution. Ce projet doit être soutenu et il est dans notre intérêt d’y participer. L’Europe des régions que nous appelons de nos vœux, plus décentralisée, plus respectueuse des diversités, naîtra de l’Europe actuelle et non de son rejet. Nous devons prendre nos responsabilités et y contribuer.

Contrairement à ce que craignaient certains Verts à la fin du siècle passé, cette Europe peut aussi constituer un moteur de durabilité. Elle est aujourd’hui au niveau mondial l’acteur le plus ambitieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Et un pays comme l’Allemagne, que les Verts citent en exemple pour sa promotion des énergies renouvelables, est membre de l’UE. La Suisse n’est malheureusement plus systématiquement une pionnière de la protection de l’environnement. Aujourd’hui, dans ce domaine comme dans d’autres, par exemple la protection des consommateurs, l’Europe est souvent plus visionnaire que notre pays.

Evidemment, envisager une adhésion ne signifie pas l’accepter à n’importe quel prix. Celle-ci doit être âprement négociée et certains acquis doivent être maintenus. Les Verts veulent notamment préserver notre démocratie directe, notre neutralité, notre tradition de promotion de la paix, notre agriculture durable et exempte d’OGM et les engagements pris dans le cadre de l’Initiative des Alpes. Mais nous serons mieux à même de défendre ces acquis dans le cadre d’une démarche proactive et offensive, permettant de mettre tous les dossiers sur la table, plutôt que dans la situation défensive qui est la nôtre actuellement, dans le cadre d’une stratégie bilatérale à bout de souffle.

Les Verts sont conscients du fait que les citoyens suisses ne sont pas prêts à une adhésion. Dans cette situation, une réactivation du débat sur l’EEE pourrait constituer une étape intéressante. Il faut évaluer dans quelle mesure cette piste pourrait être plus prometteuse que les laborieuses négociations actuelles. Cette discussion constituerait en tous les cas une option préférable à un enlisement de nos relations bilatérales. Nous l’avons constaté à maintes reprises ces dernières années autour des dossiers fiscaux et bancaires: en matière de relations internationales, l’attentisme est la pire des solutions.

Les Suisses ne sont pas prêts à une adhésion. Aussi, réactiver le débat sur l’EEE pourrait constituer une étape intéressante

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