C’est un des sujets les plus cherchés sur Google ce matin: L’origine du monde de Courbet, le célébrissime tableau montrant en gros plan le sexe d’une femme allongée, tranquille, anonyme. Ou plutôt: qui était anonyme. Car c’est la grande nouvelle: on a identifié «à 99%» la femme à l’origine du tableau.

«L’un des plus grands mystères du monde des arts est sans doute résolu», écrivent le Huffington Post comme Le Figaro ou 20 minutes – de très nombreux journaux reprennent quasiment in extenso la longue dépêche de l’Agence France Presse qui annonce la trouvaille. C’est en travaillant sur la correspondance d’Alexandre Dumas fils et de George Sand que Claude Schopp, grand spécialiste français de Dumas père et fils, Goncourt de la biographie en 2017, a résolu une énigme vieille de 152 ans. Dans une lettre de Dumas fils, l’écrivain, hostile à la Commune (à laquelle Courbet était très favorable, ce qui à sa chute l’obligea à venir se réfugier en Suisse), déblatère sur Courbet: «On ne peint pas de son pinceau le plus délicat et le plus sonore l’interview de Mlle Queniault (sic) de l’Opéra.» «Interview? Ça ne voulait rien dire», explique le chercheur à l’AFP. Il décide donc de confronter cette transcription au manuscrit original, conservé à la Bibliothèque nationale de France. Et là, il réalise que ce n’est pas «interview» qu’il fallait lire, mais bien «intérieur».

«Ce fut comme une illumination.» Le chercheur informe Sylvie Aubenas, directrice du département des estampes et de la photographie de la BnF, qui est immédiatement convaincue: «Ce témoignage d’époque découvert par Claude me fait dire que nous avons la certitude à 99% que le modèle de Courbet était bien Constance Quéniaux». Constance Quéniaux, danseuse à l’Opéra et maîtresse du diplomate ottoman Khalil-Bey, flambeur, tombeur, grande figure du Tout-Paris des années 1860 et commanditaire du tableau. A l’époque, de nombreuses danseuses étaient entretenues par des hommes, comme l’a raconté l’écrivaine Camille Laurens.

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En 1866, date de L’origine du monde, Constance Quéniaux a 34 ans et ne danse plus depuis 1859. Elle devient même ensuite une femme de bien, engagée dans la philanthropie. C’est peut-être pour cette raison que son nom n’a pas circulé plus tôt.

Claude Schopp publie la semaine prochaine un livre sur sa trouvaille, nouvel épisode de la vie tumultueuse du tableau qu’un de ses derniers propriétaires, Jacques Lacan, dissimulait chez lui sous un rideau.

Une découverte «par hasard» dit Le Monde, une découverte «que vous auriez pu faire», explique France Inter – l’occasion de redécouvrir Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France numérisée.

Un joli coup de pub en tout cas pour le Musée d'Orsay, qui expose le tableau de Courbet depuis 1995, et qui ouvre le 16 octobre une exposition consacrée à Nadar, un des photographes grâce à qui on connaît le visage de Mademoiselle Quéniaux.

Fallait-il chercher à l’identifier? «Cette révélation paraît bien indiscrète autant qu’inutile. Elle enlève une part de son mystère à l’œuvre de l’artiste qui a laissé cette absence comme signe d’un désir que chacun peut s’approprier» regrette une lectrice du Monde sur Twitter. «Est-ce qu’on cherche à savoir qui est le penseur de Rodin?» demande un autre internaute, qui voit ici un signe de la différence persistante entre l’attention prêtée aux hommes et celle prêtée aux femmes…

Il est en tout cas une certitude: les algorithmes de Facebook ont appris à reconnaître la peinture. Elle est partout sur le réseau ce matin. On se souvient qu’un enseignant français avait vu son compte supprimé après avoir reproduit le tableau. Lors du procès en mai, la justice française avait reconnu une faute de Facebook qui n’avait pas alerté le professeur mais l’avait débouté sans se prononcer sur le fond; les principes de la communauté font désormais une exception à la nudité lorsqu’elle fait partie d’un contexte artistique. «Nous tenons à rappeler que L’origine du monde est un tableau qui a parfaitement sa place sur Facebook», avait écrit au Monde Delphine Reyre, directrice des affaires publiques Facebook France et Europe.

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