Personne n’oserait se plaindre d’excès de démocratie. Encore moins en Suisse où l’instrument de l’initiative populaire a été introduit dans la Constitution fédérale en 1891. Mais on peut parler de son abus, notamment par des populistes qui s’en servent davantage comme un outil de marketing pour se promouvoir que pour créer un vrai débat de société. L’initiative de l’UDC «Non à l’immigration de masse» sur laquelle le souverain s’est prononcé le 9 février 2014 en est l’illustration. Le parti de Christoph Blocher l’avait remporté, mais certains réalisent après-coup dans quel cul-de-sac ils ont mis la Suisse dans ses relations avec son voisin et principal partenaire économique.

C’est la même chose au sein de l’Union européenne (UE). Un référendum par-ci, un référendum par-là, et voila une épée de Damoclès qui menace, qui ralentit et qui sème le doute dans la construction européenne. Depuis plusieurs mois, le référendum britannique sur le Brexit, le 23 juin prochain, paralyse l’UE. Voulu par un David Cameron en mal de popularité, cet exercice fait aujourd’hui craindre l’existence même de l’Union.

Ces citoyens qui voudraient voter sur l’UE

Le vote sur le Brexit a donné des idées. Selon un sondage Ipsos-MORI dont les résultats ont été publiés lundi dernier. 45% des électeurs de huit pays, dont la France et l’Allemagne, aimeraient pouvoir se prononcer, comme les Britanniques sur l’avenir de leur pays respectif au sein de l’UE.

On ne dira jamais que consulter la population est une tare, même si dans les démocraties parlementaires, les élus sont la voix du peuple. En Europe, le vote sur le Brexit n’est pas le seul à freiner le mouvement. Début avril, les Néerlandais ont rejeté par référendum l’accord d’association UE-Ukraine. Et ces derniers, comme s’ils avaient réalisé qu’ils détenaient le pouvoir absolu, ont déjà annoncé une nouvelle initiative pour défier un prochain éventuel accord sur le Traité de libre-échange transatlantique. Aux Pays-Bas, le vote en référendum est consultatif, mais le gouvernement peut-il vraiment ignorer le résultat?

Une consultation en Hongrie

En Hongrie, c’est le chef d’Etat lui-même qui a décidé de consulter le peuple sur le plan de répartition des réfugiés concocté par Bruxelles. Viktor Orban l’a signé après avoir débattu avec ses homologues. Mais il prône tout de même le rejet. La démagogie en sortira vraisemblablement vainqueur.

Certes, les souhaits exprimés démocratiquement par les peuples peuvent aussi permettre l’UE d’avancer. Le rejet de la Constitution européenne par la France et les Pays-Bas en 2005 ont poussé les dirigeants européens à revoir la copie. En 2015, le non grec au plan d’aide européen a donné plus de poids au premier ministre Alexis Tsipras pour négocier un accord avec ses créanciers.

L’initiative populaire, ce n’est pas un rasoir dans les mains d’un singe. Mais à force de le multiplier, parfois pour des raisons bancales, ce sera la démocratie qui affaiblira elle-même la démocratie.

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