J’aime la Suisse. Parce que la Suisse respecte ma liberté. Parce que, Romand, je peux écrire dans un journal zurichois. Parce que, en tant que libéral, je peux débattre dans l’assemblée d’un parti de gauche sans me faire entourer de gardes du corps.

J’aime la Suisse, parce que ce pays a été fondé sur la liberté. Ce qui fait l’identité suisse, ce n’est pas le Pont de la Chapelle de Lucerne. Ce n’est pas le Cervin. Ce n’est pas non plus la Frauenkirche, ni le Jet d’eau, ni le carnaval de Bâle, ni la Piazza Grande de Locarno. Ce qui fait l’identité suisse, c’est notre attachement viscéral à la liberté.

La liberté de croire ou de ne pas croire sont parmi les libertés fondamentales créées par l’Etat radical en 1848. L’Etat n’est pas là pour m’imposer une manière de croire, mais pour protéger ma liberté d’être catholique, protestant, orthodoxe, juif, bouddhiste tibétain, athée, etc. Et, bien sûr, musulman.

L’initiative sur les minarets remet en cause cette liberté. Non pas que le minaret soit indispensable au culte musulman. La plupart des mosquées dans ce pays n’ont pas de minaret. Et l’appel à la prière par le muezzin restera toujours exclu. Ce que les auteurs de l’initiative combattent, c’est en réalité le droit, pour les musulmans, d’aimer à la fois l’islam et la Suisse. Selon ces personnes, les musulmans voudraient forcément l’application de la charia. Ils seraient forcément des terroristes. Ils voudraient exciser nos filles et trancher la gorge des chrétiens. Doit-on leur rappeler que, minarets ou pas, le terrorisme, la lapidation, les mutilations sexuelles sont déjà interdits en Suisse – comme d’ailleurs au Maroc, en Egypte, en Tunisie, au Liban, etc.?

L’initiative est doublement stupide. D’abord, parce que ce n’est pas en interdisant des minarets que l’on combat l’extrémisme. Les extrémistes prospèrent dans les sous-sols de banlieues frappées par le chômage et la pauvreté. Pour combattre l’extrémisme, je préfère donc une mosquée avec un minaret bien visible, qu’une salle de prière cachée dans un sous-sol.

Stupide aussi, parce que l’immense majorité des 400 000 musulmans vivant en Suisse aiment la Suisse et la liberté. S’ils voulaient la charia, ils émigreraient vers l’Arabie séoudite ou l’Iran. Non: c’est la Suisse libre, laïque, démocratique qu’ils ont choisie.

L’islam est une grande religion, qui se réclame d’Abraham, le premier des monothéistes. Comme pour la religion juive ou chrétienne, ses textes ont un potentiel de violence. Les juges de l’Inquisition trouvaient dans les Evangiles les mots pour justifier leurs crimes. Mais comme le christianisme et le judaïsme, l’islam véhicule surtout une éthique.

Les musulmans partagent avec les chrétiens des valeurs qui nous sont chères: la fidélité dans le mariage, le respect des anciens, le rejet de la spéculation, la charité, l’interdiction du vol, du viol, du meurtre. Si nous voulons poursuivre notre cohabitation paisible avec l’islam, nous devons plutôt former des imams en Suisse. Et construire avec eux sur ces valeurs communes.

Certains potentats arabes interdiraient la construction de clochers. Et alors, est-ce une raison de les imiter? Ce n’est pas mon idée de la Suisse! C’est au contraire en restant fidèles à nos valeurs de liberté et de justice que nous continuerons de nous faire respecter. Pourquoi croyez-vous que la Suisse fasse rêver tant de monde, riches y compris, au Maghreb et en Orient? Parce qu’ici, les gens sont libres. Parce qu’ici, la minijupe comme le foulard sont autorisés. Parce qu’ici, chacun peut avoir son opinion et la défendre. Parce qu’ici, l’Etat n’est pas corrompu. Parce qu’ici, la démocratie est réelle, et non confisquée par les mollahs ou par les adeptes du socialisme autoritaire.

Ceux qui voteront pour cette initiative prendront de grands risques. Et ne «gagneront» rien. Ils n’empêcheront pas les musulmans de vivre en Suisse. Par contre, ils donneront un message de rejet aux milliers d’Arabes qui viennent chaque année remplir nos hôtels, acheter nos montres, commercer avec nos banques. Ils donneront un bon prétexte à tous ceux qui, là-bas, veulent faire croire que l’Occident veut la guerre des religions. Et ils mettront la Suisse au rang des ennemis de l’islam, et donc une cible privilégiée pour des attaques terroristes.

Mais ils feront bien pire que cela. En votant cette initiative, ils détruiront ce qui fait la valeur de notre pays: le respect de notre liberté de croire ou de ne pas croire. Le 29 novembre, ce n’est pas l’Islam qui est en jeu. C’est la Suisse.

Ce texte a paru dans la «Neue Zürcher Zeitung».

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