ma semaine suisse
La Suisse n’est pas absente du radar européen. Mais elle a un sérieux problème intérieur: que veut-elle? Alors que la confusion domine depuis le vote du 9 février sur l’immigration qui sabote la voie bilatérale, prêtons attention au diplomate Jakob Kellenberger, qui met à nu nos paradoxes

Ma semaine suisse
Que voulons-nous?
La Radio et la Télévision romande annonçaient cette semaine que la Suisse «était écartée des priorités européennes» ou même qu’elle «n’existait pas pour Bruxelles». Auditionnée par le Parlement européen, la future haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, n’a pas mentionné notre pays…
Invité d’ Infrarouge qui diffusait le sujet TV, le barde de l’UDC Oscar Freysinger a jubilé. Badin, comme s’il tchatchait au bistro, le conseiller d’Etat valaisan a distillé son venin. En gros: je vous l’avais dit les gars, les Européens nous veulent que du mal, ignorons-les, tant pis pour leurs dogmes, réduisons l’immigration comme le veut le peuple!
Cette manière perfide de suggérer que l’Europe nous snobe, nous oublie, ou pire nous maltraite est une curieuse interprétation de la réalité. Mercredi, il n’a fallu que 45 minutes à la Commission européenne pour réagir à la déclaration du Conseil fédéral annonçant qu’il veut entamer des négociations avec l’UE en vue d’adapter l’Accord de libre circulation aux obligations suisses découlant du fameux vote du 9 février sur l’immigration.
Alors, absente du radar européen, la Suisse? Non, le sujet est sur la table, l’UE y est attentive, elle ne rate pas une occasion de réaffirmer sa position officiellement communiquée le 24 juillet: restreindre la liberté des Européens à venir travailler en Suisse, par des limites quantitatives ou des quotas de permis, n’est pas compatible avec la non-discrimination des Européens. Si Berne veut négocier un assouplissement de ce principe après y avoir souscrit, c’est niet.
Naturellement, l’Union a mille autres priorités que la Confédération, un Etat tiers. Mais elle n’ignore pas la Suisse, ni ne la tient pour quantité négligeable. Les canaux de discussion sont ouverts. Les intérêts communs sont multiples. Des discussions pour en concrétiser de nouveaux avancent chaque mois, parfois sur des enjeux majeurs pour les Suisses.
Rappelons le récent arrangement, partiel et provisoire, pour que nos chercheurs puissent accéder aux subsides européens les plus exigeants malgré l’obstacle dressé par le vote du 9 février. Ou le nouvel accord institutionnel – 80% est négocié; celui sur l’électricité, bien avancé; d’autres encore: Erasmus, Galileo, un accord Culture et Médias, tous en bonne voie. La ministre Widmer-Schlumpf évoquera mardi à Luxembourg la nouvelle fiscalité des entreprises, réforme demandée par Bruxelles et longtemps retardée par Berne.
Le souhait d’une meilleure intégration est partagé – une question de bon sens. Mais tout est désormais suspendu au respect par la Suisse de la libre circulation des personnes. Et là, Bruxelles dit au Conseil fédéral: «Faites-nous des propositions», tout en fixant la ligne rouge: la non-discrimination des Européens sur le marché du travail suisse n’est pas négociable.
S’il existe un problème, il n’est pas à Bruxelles, mais en Suisse. Et il est home made. Que voulons-nous? Le savons-nous nous-mêmes? Décideurs politiques et de l’économie en tête, nous n’aimons pas l’Union, nous la critiquons, nous arborons un sourire condescendant quand elle patine ou s’affaiblit; mais nous voulons manger dans sa main, et même chaque jour davantage. Nous sanctifions le vote populaire mais nous pleurnichons quand une majorité de hasard révèle nos contradictions, trahit notre vision peu réaliste des relations internationales, et nous plonge dans un bourbier paralysant. Nous sommes tentés par l’isolement, mais ne voulons surtout pas en payer la facture.
«Où est la Suisse?» interroge Jakob Kellenberger dans un essai qui paraît ces jours*. Puisse l’analyse subtile et équilibrée du diplomate qui fut le chef négociateur des premiers accords bilatéraux nous faire réfléchir. Sans l’idéalisme naïf des «euroturbos», il met à nu nos paradoxes. Nous avons intériorisé des images négatives de l’Europe sans voir que l’UE et son environnement ont changé en profondeur. Jamais l’interdépendance des Etats n’a été si forte mais nous nous accrochons, par la rhétorique, à une idée de la souveraineté datant du XVIe siècle. Manquant d’ambition, nous nous faisons plus petits et plus autonomes que nous le sommes. Et nous nous aveuglons en mettant en péril le bilatéralisme, ce chemin dont nous avons tant profité parce que précisément nous sommes un carrefour au cœur de l’Europe.
* «Wo liegt die Schweiz? Gedanken zum Verhältnis CH-UE». NZZ Verlag
Manquant d’ambition, nous nous faisons
plus petits et
plus autonomes
que nous le sommes
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