La démocratie directe a atteint ses limites. Elle ne protège plus contre les multiples interventions dans la vie privée des individus. Tout est politisé, de l’avis de l’économiste Hans Rentsch dans «Wie viel Markt verträgt die Schweiz?» (NZZ Verlag, 2017), littéralement «Quelle part de marché est encore acceptée par la Suisse?». 

C’est le résultat du déclin des connaissances économiques en Suisse, écrit l'auteur. La part de l’État dépasse 40% en Suisse et 55% des prix sont définis par l’État. Contrairement aux images répandues par les classements de productivité, la Suisse n’est plus libérale. «Les réformes éventuelles sont toujours dictées de l’extérieur», 

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Le citoyen a le pouvoir, mais il vote sans être suffisamment informé et sans écouter les économistes indépendants, regrette l’auteur. Par manque de compréhension économique, quantité d’individus votent même à l’inverse de leurs convictions, avance-t-il. Aujourd’hui la croissance économique est menacée par la «politisation» d’un nombre toujours plus élevé de domaines.

C’est en mettant en avant la réflexion économique que la croissance peut repartir, selon Hans Rentsch. L’économiste Bryan Caplan estime d’ailleurs que dans une démocratie l’alternative aux décisions prises à la majorité n’est pas le totalitarisme, mais celles qui résultent de réflexions individuelles volontaires, c’est-à-dire le marché. Or le citoyen souffre, d'après lui, d'un biais contre le marché.

«Economistes, au front!»

«Economistes, au front!» crie Hans Rentsch, un économiste appartenant au nouveau réseau Carnot-Cournot. Pour dépolitiser les débats, il faut relever le niveau de formation économique de la population, d’ailleurs particulièrement bas, selon l’auteur. Pourtant «pratiquement dans tous les domaines, les économistes indépendants concluent leur raisonnement en proposant une réduction de l’activité de l’État, une dépolitisation, une réduction des réglementations, au profit du marché, de la concurrence et de la liberté individuelle», affirme Hans Rentsch. A l’évidence, personne ne les écoute. Et les enseignants les ignorent.

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Si l’auteur parle abondamment d’économistes indépendants, cela signifie qu’un grand nombre perd de leur crédibilité en raison de leurs intérêts économiques, qu’ils soient liés à une branche économique, à une agence gouvernementale ou à un syndicat. «0Même certains des meilleurs économistes se transforment, en vertu des circonstances, en représentants d’une économie politisée», regrette cet ancien économiste d’Avenir Suisse, un laboratoire d’idée connu pour son slogan «indépendant, mais pas neutre».

Le phénomène n’est pas limité à la Suisse. Hans Rentsch cite en l’occurrence le prix Nobel Paul Krugman. Le lauréat du prix le plus prestigieux expliquait il y a 20 ans que l’ascension de l’Asie s’appuyait sur ses «deferred contributions», soit son haut taux d’épargne. Aujourd’hui il recommande l’inverse à travers une politique de relance qui soutient la consommation et l’endettement… Alan Greenspan est dans la même catégorie du fait de l’ajustement de la stratégie de la Fed aux objectifs de George W. Bush.

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Qui sont alors les meilleurs économistes? En Suisse, il existe une liste des plus influents. Elle est réalisée par la NZZ et la Frankfurter Allgemeine. Le classement est fonction des citations dans les médias spécialisés, les évaluations des parlementaires et des membres des gouvernements aux niveaux fédéraux et cantonaux, et les citations dans les revues spécialisées.

Le classement helvétique en 2016

Arrivent en tête en 2016: Ernst Fehr (Université de Zurich), expert en économie comportementale, Reiner Eichenberger (Université de Fribourg), très apprécié des médias pour ses avis tranchés, Jan-Egbert Sturm (KOF), Bruno S. Frey (Crema Zurich), l’un des plus réputés au plan international, pour ses travaux sur la théorie des choix publics.

Hans Rentsch constate que trois économistes retraités et «néolibéraux» figurent aux alentours du 10ème rang: Silvio Borner, Beat Kappeler et Kurt Schiltknecht. La volonté de dépolitiser le débat de la part de ces trois derniers est, selon l’auteur, «le fruit de l’expérience et de l’observation des échecs de la gestion étatique».

Abondance de prix Nobel et un Suisse

L’établissement de classements correct est important. C’est de ces derniers que dépendent les financements, promotions et mandats. Mais les classements laissent souvent à désirer. L’indice le plus connu est «l’indice h», mais il a cruellement besoin d’améliorations, selon deux économistes, Motty Perry, de l’université de Warwick, et Philip Reny, de l’université de Chicago. Ceux-ci proposent dans «How to Count Citations if You Must» (2016) un indice aux propriétés particulièrement originales (indice dit euclidien).

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Un classement mondial

Le classement qui résulte de cette nouvelle méthodologie a belle allure (ideas.repec.org). Cinq prix Nobel figurent dans le Top 12 et 11 autres entre la 12è et la 60è place. Des économistes très présents dans le débat politique sont aussi aux avant-postes, comme Joseph Stiglitz (20è), prix Nobel et auteur d’un ouvrage très critique sur l’euro, ou Kenneth Rogoff (29è). Ben Bernanke, ancien président de la Fed, pointe au 45è rang. Milton Friedman, un des pères du monétarisme, est 191è et le Suisse Bruno S. Frey 252è! L’honneur n’est pas mince, sachant qu’il laisse derrière lui des chercheurs, certes aujourd’hui décédés, comme Paul Samuelson (282è) ou James Tobin (285è).

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