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Vue sur le monde par Bernard Guetta. Quand l'Amérique fait la cour à l'Europe

Ils étaient tous là, ou presque, toute la fine fleur de la politique

Ils étaient tous là, ou presque, toute la fine fleur de la politique française, et sa modestie de jeune femme sage, ce collier de perles et ce tailleur bleu les ont séduits. Assis, mardi dernier, sur les bancs de leur jeunesse, dans ce grand amphithéâtre de Sciences Po où ils ont tous fait leurs classes, ils étaient charmés par cet hommage que la seule présence de la secrétaire d'Etat américaine rendait à leur formation, leur culture, leur existence en un mot.

Vanité des vanités, la sauce a pris. Oui, foire aux vanités mais il est vrai que cette belle Amérique avait fait le premier pas et que son compliment n'était pas dénué de promesses. Ce n'est pas que la Maison-Blanche se soit ralliée au multilatéralisme. Aux yeux de George Bush et de sa souriante messagère, les Etats-Unis restent une nation choisie, seule responsable du sort de l'humanité, mais le président américain a maintenant compris que son ambition de répandre la démocratie dans le monde arabo-musulman était affaire «de générations». Ce pluriel en dit long.

Il signifie que l'Amérique ne s'apprête plus à forcer le mouvement à la force du fusil car «la liberté, de par sa nature même, doit être mûrie de l'intérieur, ne peut être donnée et certainement pas imposée», disait, mardi, Condoleezza Rice. On ne saurait mieux résumer le problème, et la Maison-Blanche a également réalisé, second changement d'importance, que l'Amérique ne pouvait pas tout toute seule. «Un ordre du jour global demande un partenariat global», poursuivait la secrétaire d'Etat en lançant: «Mettons nos idées sur la table, nos expériences et nos ressources, discutons et décidons ensemble du meilleur moyen de les employer au changement démocratique.» Il n'était plus question de «qui m'aime me suive!», de «jeune» et de «vieille» Europe, mais de codécision entre alliés américains et européens.

Même verbal, un tel changement ne pouvait pas ne pas frapper. Il est heureux qu'il n'ait pas été ignoré, mais il faut maintenant prendre George Bush aux mots, entendre ses doutes: saisir la balle au bond. L'Europe le peut. Elle le pourrait en donnant acte à l'Amérique qu'elle a raison de voir dans la démocratisation du monde musulman une condition de la paix dans le monde, mais en l'interrogeant, dans le même temps, sur les voies de ce dessein.

Plutôt que de contraindre la monarchie saoudienne à des semblants d'élections, ne serait-il pas plus sage de l'amener à investir les revenus du pétrole dans le développement du royaume et du monde arabe au lieu de les engloutir dans la cassette des princes? Plutôt que d'agiter la menace d'un renversement du régime iranien, ne vaudrait-il pas mieux cesser de l'ostraciser, l'intégrer, comme il le souhaite, à l'économie mondiale et tabler sur l'aspiration démocratique des Iraniens? Plutôt que de ne pas fixer de terme au maintien de la coalition américaine en Irak, ne serait-il pas plus judicieux de dire qu'elle se retirera aussitôt que chiites, sunnites et Kurdes se seront mis d'accord sur une nouvelle Constitution? Plutôt que de se faire, en permanence, juge de la démocratie chez les autres, ne serait-il pas plus urgent de la respecter soi-même en respectant l'habeas corpus et en fermant Guantanamo? Plutôt que d'applaudir la relance du dialogue israélo-palestinien, ne serait-il pas plus nécessaire de la soutenir en énonçant ensemble, Europe et Amérique, les grandes lignes du règlement à venir?