OPINION
OPINION. Récemment, «Le Temps» publiait un texte dénonçant les «tribunes indignées» contre le wokisme et la «cancel culture». Indignée, je le suis! C’est bien le wokisme qui menace la lutte contre les discriminations, écrit Joëlle Fiss, député PLR au Grand Conseil et analyste des droits de l’homme

Le wokisme est devenu une expression pour caractériser une rhétorique radicale accusant les citoyens de perpétuer des inégalités structurelles. Alors qu’à l’origine, il apparaît pour désigner les individus conscients des violences et des discriminations subies par les Noirs américains, ce combat – toujours légitime bien sûr – a donné naissance à un courant idéologique contre-productif qui freine toutes les luttes contre les discriminations.
La tribu doctrinale woke dépeint un monde binaire gouverné par des rapports de force inéluctables. Dominants et dominés, exploitants et exploités, bourreaux et victimes se côtoient dans la cité. A tout moment, l’on est prié de choisir son camp; celui du révolté ou du complice silencieux qui bloque le progrès. Face à une société hypersensible, toujours prête à s'indigner, la résilience personnelle et collective a perdu sa capacité à appréhender la complexité. «Etre vexé» devient une valeur en soi et nous donne automatiquement raison; au fond, l'on n’a plus besoin de réfléchir, argumenter, convaincre, ni d’expliquer les inégalités de traitement. Cela appauvrit le débat autour des droits humains.
Opposer l’universalisme à des luttes spécifiques
La culture recommandée est de suspecter, accuser, dénoncer. Attention à l’homme: sans même le réaliser, il perpétue les humiliations systémiques subies par les femmes. Vous êtes homosexuel noir? Méfiez-vous de l’hétérosexuel blanc qui, même inconsciemment, ne pourra jamais comprendre les torts que vous avez subis. L’empathie, ingrédient essentiel pour défendre les droits de l’homme, se craquèle. L’individu est réduit à une identité simplifiée et stéréotypée et reste incapable de concilier une mosaïque d’appartenances. L'individu est enfermé dans une série de caractéristiques, par exemple son origine ou son sexe. Puis, l’on déduit qu’il est programmé à réfléchir et à agir d’une certaine façon. Le wokisme est en réalité la robotisation de l’humain.
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Les partisans woke critiquent l’universalité des droits de l’homme parce qu’elle masque (prétendument) les différences de chacun. Selon eux, les combats spécifiques deviennent invisibles. Si tout le monde est pareil, comment aborder la diversité? Cette lecture démontre une alarmante incompréhension de ce qu’est une valeur dite «universelle». Depuis les Lumières, les valeurs universelles ne visent pas à effacer ou à minimiser les distinctions, mais à assurer l’égalité de chacun devant la loi, en dépit des différences – qu’importe leurs race, couleur, sexe, langue, religion, opinion ou origine nationale ou sociale. Tout le monde n’est pas uniforme, mais tout le monde est égal. Par conséquent, hiérarchiser les victimes n’a aucun sens.
L’égalité de tous devant le droit n’affaiblit en rien l’importance d’étudier la spécificité de chaque forme de discrimination. En effet, chaque forme d’intolérance est ancrée dans son propre contexte sociohistorique et nécessite une réponse ciblée en fonction de sa dynamique propre. Or, ceux qui défendent les valeurs universelles ne doivent pas oublier que cela n’exclut pas l’étude active de causalités spécifiques. Par exemple, les luttes contre le racisme, le sexisme ou l’intolérance religieuse méritent à chaque fois une approche ciblée.
La culture woke, destructrice du système mis en place
La culture woke est un discours qui bouscule l’architecture des droits, telle qu’elle a été articulée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette vision s’oppose au progrès acquis depuis la Seconde Guerre mondiale. La droite paraît tétanisée par ce phénomène, souvent porté par des mouvements de gauche. Pire, critiquer la culture woke revient parfois à être caricaturé comme anti-progressiste. Il ne faut pas tomber dans ce piège.
Quelle solution, alors? Continuons à défendre les valeurs universelles des droits humains fondamentaux, tout en soulignant que chaque forme de discrimination doit être déchiffrée selon son propre contexte socio-historique et solutions ciblées. Il est essentiel d’agir maintenant avant de laisser passer le temps et devenir émotionnellement détaché du discours woke. Sinon, il se glissera imperceptiblement dans nos consciences.
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