Dans sa cellule, Zehra Dogan avait collé une étoile en plastique sur son lit. Une manière de s’approprier les lieux et de garder un lien avec le monde extérieur. «Je vais vivre avec une étoile artificielle, jusqu’au 24 février 2019, comme avec un vrai ciel», affirmait-elle. Après deux ans et neuf mois de détention, la journaliste et illustratrice turque est désormais libre. Sa sortie de prison est un soulagement pour ses proches. Les retrouvailles ont été diffusées dimanche sur les réseaux sociaux par son employeur, l’agence de presse féministe et pro-kurde Jinnews. «Je vais continuer à faire mon travail», a déclaré la jeune femme dans une vidéo, un bouquet de fleurs à la main.

Militante pro-kurde, Zehra Dogan est devenue une figure de l’opposition. Au point de finir en prison. Motif de sa condamnation: «propagande terroriste». En 2016, elle avait publié sur les réseaux sociaux un témoignage d’une petite fille de 10 ans et réalisé un tableau à la suite des violents combats qui ont opposé l’armée turque et la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Nusaybin.

Sur l’image, la ville apparaît ravagée, encore fumante. Des drapeaux turcs sont peints sur les bâtiments détruits pour pointer la responsabilité du pouvoir. «Son cas illustre bien les restrictions à la liberté d’expression en Turquie», dénonce sur Twitter la section américaine du Pen Club, association internationale d’écrivains qui lui apporte son soutien. Ironie de l’histoire: des militaires fiers de l’opération de destruction avaient à l’époque diffusé l’œuvre sur les réseaux sociaux.

Symbole

D’abord inconnue du grand public, Zehra Dogan est devenue un symbole planétaire. L’année dernière, le visage de la peintre est apparu sur un mur de Manhattan derrière des barreaux. Autour, une série de traits barrés pour représenter le nombre de jours passés sous les verrous. L’auteur de cette fresque géante n’est autre que Banksy, le mystérieux artiste britannique. Il avait également publié un portrait de Zehra Dogan, la main agrippant un barreau en forme de crayon, sur son compte Instagram:

La jeune militante a également pu compter sur le soutien d’Ai Weiwei, dissident chinois qui expose ses œuvres partout dans le monde. Fin 2017, le célèbre artiste lui avait adressé une lettre en signe de solidarité. «Bien que je provienne d’une société autoritaire où la liberté d’expression est limitée, ce fut un choc d’apprendre qu’une artiste peut être emprisonnée pour avoir fait une peinture reflétant la réalité d’aujourd’hui. Si un Etat peut condamner un(e) artiste, journaliste ou écrivain(e) de cette façon, alors nous vivons vraiment une sombre époque dans laquelle aucune idée ou forme de créativité ne peut être protégée et s’épanouir», écrivait-il. Deux soutiens de poids qu’elle a pris le temps de remercier par voie épistolaire.

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Soif de création

Sa détention n’a pas asséché sa soif de création et de résistance. En prison, elle a lancé avec d’autres femmes le journal Özgür Gündem – Zindan («Actualité libre – geôle»). Une publication adressée à un lectorat kurde. Mais ce n’est pas tout. Elle planchait également sur un livre et donnait des cours de dessin à ses camarades de détention. «Elle continue de travailler sous une autre forme. Elle nous donne des leçons de résistance. Elle utilise des légumes pour faire des couleurs, du persil pour le vert, des olives pour le noir, des fruits», expliquait en janvier son amie Naz Oke dans Ouest-France.

Dans cet article, le quotidien français racontait le risque pris par une éditrice lyonnaise. Cette dernière a sorti 50 œuvres de Turquie en les emballant dans un tapis. Ses peintures ont également été exposées à Genève en décembre 2017 par Amnesty International. La même année, l’association suisse Libre Pensée lui a décerné un prix. Est-elle désormais libre de penser et de dénoncer? Rien n’est moins sûr. Zehra Dogan est en liberté conditionnelle.

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