Le mandat du haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, le prince jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, arrive à son terme à la fin de ce mois d’août et sa successeur, l’ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet vient d’être nommée et prendra son poste début septembre. Déjà commencent à fleurir des articles rendant hommage à l’action de Zeid. Les médias retiennent surtout ses prises de paroles, en particulier son discours prononcé à La Haye, en septembre 2016, où il vitupérait les nationalistes et les populistes, citant pêle-mêle Viktor Orban, Marine Le Pen, Geert Wilders ou encore Donald Trump. Pour beaucoup, il est un «héros des droits humains».

Voilà pour la vision du grand public. Mais pour ceux qui connaissent un peu mieux le système des Nations unies de l’intérieur, la perspective est tout autre et le bilan du prince Zeid apparaît beaucoup plus mitigé. Alors que les incendies s’allumaient un peu partout dans le monde, les discours enflammés du haut commissaire ont attisé le feu plutôt que de contribuer à l’éteindre. La «mégaphone diplomacy» peut faire partie de la stratégie, mais elle ne saurait à elle seule en tenir lieu. La prise de parole intempestive, agressive et omniprésente du haut commissaire a contribué à couper tous les ponts pouvant encore exister avec les dirigeants populistes. Mais elle a aussi braqué des Etats favorables à la protection des droits humains, qui se sont vus cloués au pilori, au même titre que les pires dictatures.

Un haut commissaire parmi d’autres

Zeid a eu tendance à se présenter comme «seul contre tous» dans la bataille pour les droits de l’homme. Pourtant, le haut commissaire est à la tête d’un bureau composé d’environ 1300 personnes qui, pour beaucoup, ne se sont pas senties soutenues et comprises durant ces quatre années. De plus, le Haut-Commissariat n’est pas la seule composante indépendante du système de protection des droits de l’homme: outre l’organe politique principal – le Conseil des droits de l’homme composé de 47 Etats – le «système» comprend également un très grand nombre d’experts qui peuvent prendre la parole en toute indépendance pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans le monde.

Or pendant son mandat, Zeid a non seulement complètement ignoré le potentiel de ces organes indépendants, mais a même participé à leur affaiblissement. Alors qu’il avait la haute main sur leur secrétariat et leurs ressources, il a maintenu celles-ci au strict minimum, avec le risque de faire de ces procédures des coquilles vides.

Nous n’avons pas besoin d’un héros romantique à la tête du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies

Enfin, Zeid a oublié qu’il n’était qu’un haut commissaire parmi d’autres. Or en déclarant dans un message à son personnel que demander le renouvellement de son mandat reviendrait à «se mettre à genoux dans une attitude de supplication» et se «condamner au silence», Zeid a sous-entendu que son ou sa successeur ne pourrait avoir les coudées franches et devrait nécessairement passer par des compromis, ce que lui, prince des droits humains, se serait bien entendu refusé à faire. Cela revenait à discréditer presque par avance l’action de ceux ou celles qui tenteraient de reprendre le flambeau.

Revenir aux fondamentaux

Or aujourd’hui rien ne semble impossible, à condition de comprendre que nous n’avons pas besoin d’un héros romantique à la tête du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies. Nous avons avant tout besoin d’un esprit positif, qui sache mobiliser les énergies et le potentiel extraordinaire du système de protection des droits de l’homme et se concilier les Etats, dossier par dossier.

Michelle Bachelet devra revenir aux fondamentaux: exercer un véritable leadership au sein de son bureau pour rassurer et motiver ceux qui travaillent sous sa responsabilité; renforcer les organes indépendants du système, qui surveillent et interviennent en urgence pour sauver des vies; mieux relier leur action aux présences de l’ONU sur le terrain, qui sont capables de faire avancer les dossiers en continu; faire jouer aux organes politiques leur rôle de pression et de sanction.

Système de surveillance sans précédent

Notre époque est certes difficile. Mais aujourd’hui plus encore qu’hier nous pouvons compter sur un réseau très fort d’obligations internationales: neuf conventions «de base», dont certaines sont ratifiées par tous les Etats ou par une très vaste majorité d’entre eux; un système de surveillance sans précédent dans l’histoire humaine, qui signale pratiquement en temps réel chaque violation qui a lieu dans chaque pays; des organes intergouvernementaux qui débattent ouvertement de tous les droits de l’homme, y compris à travers le mécanisme de contrôle mutuel que constitue l’examen périodique universel.

En fait, nos atouts n’ont jamais été aussi nombreux pour réussir. A la veille de l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est plus que jamais temps de retrouver le souffle d’espoir, la combativité mais aussi l’esprit stratégique et le pragmatisme conquérant qui ont animé ses rédacteurs.

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