En atterrissant à l’aéroport de Guangzhou le 19 janvier, Yang Hengjun ne s’attendait pas à se retrouver au cœur d’un conflit diplomatique entre son pays d’origine, la Chine, l’Australie, dont il détient un passeport, et les Etats-Unis, où il vit. C’est pourtant ce qui est arrivé à cet écrivain et militant des droits de l’homme de 53 ans, qui enseigne actuellement à l’Université Columbia de New York. A sa descente de l’avion, il a été cueilli par des agents de sécurité, emmené à Pékin et placé en détention secrète.

«Il n’a pas eu accès à un avocat et personne ne sait exactement où il se trouve, ni quand il sera libéré, indique Feng Chongyi, un professeur à l’Université technologique de Sydney qui est son ami. Je l’avais mis en garde avant son voyage, mais il ne m’a pas écouté.» Yang Hengjun, qui avait déjà été détenu en 2011, est accusé d’avoir «mis en danger la sécurité nationale de la Chine», une charge fréquemment utilisée par Pékin contre les personnes critiques à l’égard du régime.

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Canadiens arrêtés

La même accusation a été déployée pour justifier l’arrestation en décembre de deux Canadiens, l’ex-diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor. Le premier œuvrait en Chine pour le compte de l’ONG International Crisis Group et le second organisait des séjours touristiques en Corée du Nord. «Eux non plus n’ont pas eu accès à un avocat, relève Patrick Poon, de l’antenne hongkongaise d’Amnesty International. Michael Kovrig subirait en outre plusieurs interrogatoires par jour et sa cellule serait constamment éclairée avec une lumière vive, selon les bribes d’informations que nous avons pu obtenir.»

Pour la plupart des bons connaisseurs de la Chine, ces cas sont tous liés. Il s’agit de mesures de représailles pour l’arrestation de Meng Wanzhou. La fille du fondateur de Huawei a été arrêtée début décembre par le Canada, sur demande des Etats-Unis, pour avoir contourné les sanctions contre l’Iran. L’Australie se trouve également dans le viseur de Pékin pour avoir critiqué la détention de Michael Kovrig et de Michael Spavor et banni Huawei de son futur réseau 5G. «Yang Hengjun a été pris en otage pour faire pression sur Canberra», juge Feng Chongyi, qui a lui-même passé deux semaines en détention en 2017 alors qu’il enquêtait sur des avocats des droits de l’homme en Chine.

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Deux autres cas pourraient être liés à cette affaire, même si les circonstances sont moins claires. Un Canadien d’origine chinoise a été arrêté vendredi à Macao pour avoir cherché à transférer frauduleusement 284 millions de dollars appartenant à une société basée dans l’ancienne colonie portugaise sur un compte hongkongais. Un quatrième Canadien, Robert Lloyd Schellenberg, a été condamné à mort mi-janvier pour avoir pris part à un trafic de drogue en Chine, une peine bien plus lourde que les 15 ans de prison dont il avait écopé lors d’un premier procès.

Craintes chez les expats

Pour les expats vivant en Chine et les sinophiles qui se rendent fréquemment dans le pays, ces arrestations ont jeté un froid. «La crainte de se faire arrêter de façon arbitraire est devenue un thème de conversation omniprésent au sein de la communauté étrangère, note un journaliste américain qui vient de quitter le pays. La détention de Michael Spavor, qui était très respecté, bien connecté et dont le travail était largement connu des autorités, a choqué beaucoup de monde.»

L’un de ses collègues canadiens a choisi de ne pas rentrer en Chine après les vacances de Noël. D’autres ont enregistré dans leur téléphone le numéro d’urgence du consulat de leur pays. D’autres encore ont arrêté de publier des commentaires critiques sur les réseaux sociaux.

«Je ne vais plus me rendre en Chine durant au moins six mois», raconte le fondateur singapourien d’une ONG hongkongaise d’aide aux enfants défavorisés qui y passait jusqu’ici une semaine par mois. «La plupart des intellectuels chinois critiques du régime ont décidé d’éviter les séjours en Chine ces prochains temps, note de son côté Feng Chongyi. La situation est trop tendue.»

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Risques pour les étrangers avec des origines chinoises

Les étrangers qui ont des origines chinoises sont particulièrement à risque. «Le gouvernement les considère comme ses citoyens, note Patrick Poon. Il estime qu’il peut les traiter comme ses propres ressortissants et qu’il n’est pas tenu d’informer le pays dont ils ont la nationalité en cas de détention.» Pékin a attendu cinq jours avant d’informer l’ambassade australienne de l’arrestation de Yang Hengjun. Un traité consulaire entre les deux pays l’obligeait pourtant à la notifier à Canberra dans les trois jours.