Les réseaux opaques de Nicolas Blancho
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Le Conseil central islamique suisse fourmille de projets. Comment va-t-il les financer? Le mouvement continue à prétendre qu’il ne reçoit pas d’argent de l’étranger
Les réseaux de financement opaques de Nicolas Blancho
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> Le mouvement continue à prétendre qu’il ne reçoit pas d’argent de l’étranger
Construction d’une grande mosquée à Berne, lancement d’une télévision islamique numérique, création d’écoles et de cartes de réduction pour les musulmans… Un peu plus de deux ans après sa fondation, le Conseil central islamique suisse (CCIS) fourmille de projets. Mais cet activisme tous azimuts ne reflète pas une croissance exponentielle de ce mouvement d’inspiration salafiste. S’il fait toujours beaucoup parler de lui, il semble peiner à rassembler les musulmans sunnites de Suisse, comme il se le proposait.
En novembre 2011, le CCIS comptait 45 membres actifs et 2000 membres passifs. Soit seulement 300 de plus qu’à la fin de 2010. Et cela, malgré la tenue en février 2011 de la Conférence annuelle du CCIS au Palais des congrès de Bienne, un événement très médiatisé qui a réuni environ 2000 personnes. On est loin des 5000 à 10 000 membres que le CCIS souhaitait atteindre cette année.
Prudent, Nicolas Blancho, son président, estime que le nombre des membres devrait être de 4000 dans les deux à trois prochaines années. «Chaque semaine, nous recevons cinq à dix nouvelles inscriptions», dit-il. Le CCIS s’est-il montré trop optimiste à sa création? «Nous avons constaté que la communication entre musulmans se développe plus difficilement que prévu, poursuit-il. La réception de nos idées se fait lentement. Beaucoup de musulmans de la première génération pensent comme s’ils vivaient encore dans leur pays. Ils ne comprennent pas vraiment la Suisse.» Une réflexion qui laisse entendre que seul le CCIS est à même de représenter correctement les musulmans de Suisse… Le CCIS compte 13 institutions affiliées, mais pas les principales organisations faîtières de Suisse. La Fédération d’organisations islamiques de Suisse et la Coordination d’organisations islamiques de Suisse continuent à se méfier du mouvement.
Selon Stéphane Lathion, du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse (GRIS), Nicolas Blancho, en jouant la provocation, «ratisse large» et peut espérer voir son mouvement croître. «Il a compris la logique médiatique», dit le spécialiste. «Les autres organisations islamiques ont plus de peine à communiquer. S’il a de l’argent, Blancho peut attirer des musulmans dans son mouvement. Ceux qui doivent prier dans des garages ou qui n’ont pas de mosquée digne de ce nom se rendront plus facilement dans celle du CCIS.»
Cependant, le CCIS manque de transparence sur ses réseaux et ses finances. En mai 2010, Abdel Aziz Qaasim Illi, le porte-parole du mouvement, affirmait au Temps que le CCIS n’avait «aucun lien avec des mouvements étrangers. Nous sommes en contact uniquement avec des organisations de Suisse». Changement radical de discours quelques mois plus tard. Le 15 janvier de cette année, à la suite des révélations des médias concernant le projet de construction d’une mosquée à Berne, un communiqué de presse annonçait que «le Conseil central islamique entretient des relations avec des ONG, des personnes privées et des ministres dans le monde entier». Il s’agit d’un «processus normal de réseautage», selon le CCIS.
Par ailleurs, le financement des activités du CCIS reste très opaque. Dans une interview à la SonntagsZeitung parue le 29 janvier, Oscar Bergamin, ancien membre du comité directeur, révélait qu’il avait accompagné Nicolas Blancho dans un voyage de 24 jours au Koweït et au Qatar destiné à récolter des fonds. Selon ses déclarations, il a vu de ses propres yeux Nicolas Blancho recevoir plusieurs milliers de dollars de la part d’un entrepreneur, dont une partie aurait été volée sur le chemin du retour vers l’aéroport. Oscar Bergamin a quitté le CCIS à l’automne, déplorant «les cachotteries et les mensonges» de ses responsables.
Nicolas Blancho juge les propos d’Oscar Bergamin diffamatoires et continue à affirmer que les fonds du CCIS proviennent des cotisations des membres, de dons et de prêts de personnes résidant en Suisse. Impossible, selon Oscar Bergamin. Sans argent de l’étranger, le CCIS n’aurait pas pu financer ses activités et les manifestations qu’il a organisées ces deux dernières années, avec la participation de nombreux invités étrangers. Il estime à 250 000 francs les dépenses du mouvement durant les deux dernières années. Or, un peu moins de la moitié des 2000 membres paieraient la cotisation annuelle de 50 francs. Le nombre de donateurs résidant en Suisse serait restreint. De plus, il a fallu attendre les révélations des médias sur le projet de construction d’une mosquée à Berne pour que le CCIS admette travailler dans la région du Golfe dans le but d’obtenir des fonds pour financer de gros projets, «comme des mosquées ou des écoles».
Nicolas Blancho convient que la construction de la mosquée, qui devrait ouvrir ses portes dans dix ans, sera financée aussi par des fonds étrangers. Du Koweït et du Qatar? «C’est possible», dit-il. Il ne peut pas communiquer pour l’instant les détails du budget de 2011, car le département des finances du CCIS ne les a pas encore publiés. «Un retard», selon lui. Hodza Adis, le responsable des finances, annonce leur publication pour la fin de mai. Il lui est «impossible» de donner des informations sur les comptes du CCIS d’ici là.
Ceux de 2010 sont en revanche disponibles. Le CCIS a reçu près de 133 000 francs, dont plus de 82 000 proviennent des cotisations et de dons. En outre, des prêts d’un montant de 50 000 francs ont été octroyés au CCIS.
«S’il a de l’argent, Blancho peut attirer des musulmans dans son mouvement»