2015, année El Niño de tous les records?
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Le phénomène climatique déjà bien installé dans le Pacifique va gagner en intensité ces prochains mois, et sera sans doute l’un des trois épisodes les plus intenses depuis 1950. Sécheresses, inondations et autres événements extrêmes sont à craindre

Cette fois, le doute n'est plus permis. Les perturbations climatiques en cours dans l'océan Pacifique vont aboutir cet hiver à un phénomène EL Niño de grande ampleur qui s'inscrira comme l'un des trois plus importants événements de ce type observés depuis 1950. «Le puissant épisode El Niño déjà bien installé devrait gagner en intensité d’ici la fin de l’année [et contribuer] à des conditions météorologiques extrêmes», a annoncé en conférence de presse lundi 16 novembre l'Organisation mondiale de la météorologie (OMM), une agence de l'ONU.
El Nino, c'est l'enfant terrible du climat. Un phénomène climatique complexe, qui survient tous les trois à sept ans, et au cours duquel atmosphère et océans s'emballent, détraquant températures et précipitations autour du Pacifique. L'OMM n'exagère pas en parlant d'événements «extrêmes»: jouant à l'enfant turbulent avec le Pacifique, El Niño entraîne de part et d'autre de l'océan des sécheresses, inondations et ouragans aux conséquences parfois dramatiques.
En quoi consiste El Nino?
Fruit de l'interaction entre l'atmosphère et les eaux du Pacifique, El Niño est une perturbation de la mécanique qui régit habituellement ces deux milieux, en particulier dans la zone tropicale, qui s'étend de l'Amérique du Sud à l'Asie du sud est.
Vidéo explicative. Comprendre le phénomène El Niño en deux minutes
En temps normal, les côtes est et ouest du Pacifique connaissent deux climats bien différents. Côté sud américain, les eaux sont froides et l'air sec, tandis que côté asiatique elles sont chaudes et l'air fortement humide. Ce sont les alizés, des vents d'est soufflant du Pérou vers l'Indonésie, qui sont responsables de ce statu quo en maintenant près des côtes asiatiques un gigantesque bassin d'eau chaude à environ 30°C. Parfois surnommé «warm pool» (piscine chaude), ce dernier nourrit les nuages et favorise d'abondantes précipitations.
Certaines années, la mécanique s'enraye et les alizés faiblissent, signant le point de départ du phénomène El Niño. Les vents ne peuvent plus confiner cette «warm pool» dans le Pacifique ouest. Cette dernière migre progressivement vers l'est: le front chaud et humide finit par gagner les côtes péruviennes, entraînant un régime de précipitations accru, tandis qu'un air sec s'installe à proximité des côtes asiatiques.
En vidéo: El Nino, le phénomène qui se déchaîne tous les trois à sept ans. Explications en images
El Niño a beau suivre toujours le même calendrier et atteindre son pic d'intensité fin décembre, lorsque les eaux chaudes sont arrivées au Pérou (c'est d'ailleurs de là qu'il tient son nom, qui fait référence à l'«enfant Jésus» en espagnol), prédire un tel événement n'est pas facile.
Comment le prédire?
«Nous avions observé dès ce printemps que la température du Pacifique commençait à augmenter», explique Paolo Ruti, chef du programme de recherche sur les prévisions météorologiques à l'OMM. Mais cela ne suffit pas. «Pour que l'événement se déclenche en hiver, il faut que le phénomène soit alimenté en continu durant tout l'été», précise Anne Leclerc, du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement à Gif-sur-Yvette en région parisienne.
Mais ce n'est pas le seul indice de la présence d'un El Niño, comme l'explique Gilles Reverden, du laboratoire LOCEAN à Paris: «Les modèles prédictifs prennent en compte d'autres paramètres parmi lesquels les températures en profondeur, mesurées par des balises Argos, ou encore des données météorologiques habituelles telles que la pression atmosphérique ou le taux d'humidité».
Les mesures satellitaires ont quant à elles autorisé d'importants progrès, par exemple en mesurant de subtiles élévations du niveau du Pacifique. «Lors des épisodes El Niño, le Pacifique peut s'élever d'une trentaine de centimètres», assure l'océanographe. Grâce à cet attirail de mesures, il est désormais possible de prédire El Niño neuf mois à l'avance, contre six auparavant. Mais guère plus. Et cela repose comme toujours sur des probabilités. L'épisode El Niño prévu pour l'hiver dernier n'a en fait jamais eu lieu. La hausse du mercure constatée au printemps 2014 s'est brutalement arrêtée l'été suivant et l'enfant terrible ne s'est pas manifesté.
Le Pérou sous la pluie
Les années El Niño sont synonymes de pluies torrentielles dans des pays tels que le Pérou ou l'Equateur. Lors de l'épisode de 1997, il y était tombé dix fois plus d'eau que lors des années habituelles. Ces précipitations n'ont pas que des conséquences catastrophiques: au Chili, le désert d'Atacama s'est ainsi tout juste recouvert d'un somptueux tapis de fleurs colorées.
Les effets ne se font pas ressentir que dans les nuages. Le réchauffement des eaux empêche les courants froids de remonter des profondeurs. Sans ces derniers, riches en plancton et en nutriments, la nourriture vient à manquer pour les milliers d'espèces aquatiques qui y vivent. Certaines populations de poissons et d'oiseaux diminuent alors de manière spectaculaire, et des milliers de pécheurs se retrouvent au chômage technique.
L'Indonésie dans les flammes
De l'autre côté du Pacifique, le départ de cette zone chaude et humide assèche l'atmosphère localement, provoquant des sécheresses. Récoltes moins abondantes et spéculations boursières font grimper le prix des matières premières: celui du sucre a augmenté de 17% depuis un mois et celui de l'huile de palme de 6%.
L'Indonésie, qui en est le premier producteur mondial, est déjà touchée par le phénomène. Les sécheresses qui ont commencé à la frapper ont favorisé le départ de gigantesques incendies qui échappent à tout contrôle depuis plusieurs semaines.
De plus en plus d'El Nino?
«Il y a un consensus qui se dégage selon lequel la fréquence et la force des El Niño vont augmenter dans un contexte d'élévation de la température globale, indique Anne Leclerc. Mais tous les modèles climatiques ne sont pas d'accord sur cette question, il faut donc rester prudent».
«Je ne pense pas que le réchauffement climatique modifie vraiment la fréquence d'El Niño, répond Paolo Ruti. Mais ses effets vont s'ajouter aux effets du réchauffement climatique, par exemple en asséchant davantage les zones sèches». Les deux phénomènes «peuvent interagir et influer l'un sur l'autre de manière totalement inédite», a enchéri le secrétaire général de l'OMM, Michel Jarraud, lors d'une conférence de presse.
Quel que soit l'impact d'El Niño cette année, il y a de toute façon une bien meilleure préparation que lors des épisodes précédents. «Le niveau de mobilisation local, national et international n’a jamais été aussi élevé, ce qui illustre l’intérêt qu'il y a à fournir à la société des informations climatiques susceptibles de l’aider», conclut Michel Jarraud.