Un cercle vicieux s’installe: les privations que ces filles s’imposent entraînent des «crises», où elles craquent pour des aliments qu’elles s’interdisent autrement. Une fois la vanne ouverte, le barrage saute, sur le principe du «tout ou rien». Elles mangent de grandes quantités en peu de temps, en cachette, sans plus pouvoir se contrôler.
Après la crise, le mal-être revient encore plus fort, aggravé par la honte et la culpabilité d’avoir craqué. La jeune fille s’impose alors de plus grandes restrictions encore, faisant le lit de la prochaine crise, et ainsi de suite.
Les troubles atypiques de l’alimentation sont au moins cinq fois plus fréquents dans la population que l’anorexie (1%) ou la boulimie (2 à 3%). Dans certains groupes, comme les danseuses ou les mannequins, ils peuvent toucher une personne sur cinq. «Ces troubles trouvent un terrain très favorable dans la société actuelle, avec son culte de l’apparence et de la minceur, notamment. C’est un enjeu majeur de santé publique», souligne la spécialiste.
Pour Sophie Vust, il est vital d’adapter la prévention: «Les campagnes de santé publique contre l’obésité sont souvent centrées sur l’alimentation et le poids. Or ces messages sont contre-productifs et peuvent même aggraver la situation.» Ils incitent ces jeunes filles à contrôler encore davantage ce qu’elles mangent, sans égard pour leurs besoins physiologiques.
Les problèmes alimentaires, même typiques, constituent toujours un écran devant un mal-être et des difficultés intérieures causés par de multiples facteurs. En se focalisant sur la nourriture, les adolescentes concernées mettent leurs autres problèmes à distance. Ces jeunes femmes ont souvent une faible estime d’elles-mêmes, fortement corrélée avec leur poids ou leur apparence, relève la psychologue. Le regard des autres sur elles prend une importance disproportionnée.
Pour atteindre son but, le discours préventif doit être centré sur l’estime de soi et promouvoir l’idée que le bien-être est lié à la personne, non à ses performances ou à son apparence. «Les pressions socioculturelles à la minceur et les diktats des régimes doivent être dénoncés», insiste Sophie Vust.