La bataille contre le choléra
Un millier de personnes sont mortes en un mois en Haïti. Malgré sa virulence,la maladie est curable moyennant réhydratation constante durant plusieurs jours
L’épidémie de choléra qui sévit en Haïti devrait atteindre son pic maximal à la mi-décembre, avec un triplement du nombre de nouveaux cas par jour, selon Guillaume Queyras, responsable de la logistique de la section suisse de Médecins sans frontières (MSF), à Genève. Actuellement, cette dernière enregistre une centaine de nouveaux cas par jour dans les deux arrondissements où elle est présente, Cap-Haïtien et Léogâne. Le choléra a fait près d’un millier de morts en un mois. L’Organisation des Nations unies a rappelé hier que la maladie ne serait pas éradiquée avant six mois, voire des années, et a pronostiqué quelque 200 000 contaminations. Toutes les régions du pays seraient à présent touchées.
Du choléra, on prétend qu’il est à l’origine de l’expression «avoir une peur bleue», du fait de la cyanose qui aurait été observée par certains cliniciens. En fait, c’est une maladie intestinale aiguë, due à une bactérie appelée Vibrio cholerae. Ne touchant que l’espèce humaine, elle provoque des diarrhées brutales qui peuvent emporter un individu en bonne santé en l’espace de quelques heures. Ces pertes diarrhéiques – jusqu’à 11 litres en un jour – risquent en effet d’entraîner rapidement une insuffisance rénale mortelle. Le choléra se transmet par voie fécale-orale (d’où l’importance de se laver les mains au sortir des toilettes), ou par l’ingestion d’eau et d’aliments contaminés.
Cependant, malgré sa virulence, le choléra se guérit souvent. «On a en tête l’image traditionnelle du lit des patients, avec un trou pratiqué au milieu pour qu’ils puissent se vider. Cette représentation laisse croire qu’il n’existe que des cas aigus. En réalité, avec une hydratation correcte, une immunité se crée en l’espace de quelques jours. La prise en charge à ce moment-là est donc cruciale», souligne Louis Loutan, chef du Service de médecine internationale et humanitaire aux HUG.
Il existe aussi des porteurs sains. Contagieux mais ne présentant eux-mêmes aucun symptôme, ils sont soupçonnés d’être responsables de la propagation de toutes les épidémies puisqu’ils peuvent continuer à se déplacer sans problème. Aujourd’hui tombé dans l’oubli, un premier vaccin contre le choléra s’est révélé incapable de les rendre inoffensifs.
Un second vaccin a été mis au point. Il n’est administré pour ainsi dire qu’aux touristes en partance pour des régions à risque, car il nécessite la prise de trois doses successives sur trois semaines, et son efficacité, qui est de 85%, chute à 60% au bout de deux ans. Sans compter qu’il ne sert à rien une fois la maladie avérée. Quant aux antibiotiques, ils ne sont pas d’un réel secours en l’absence de réhydratation suffisante. Bref, tout se joue dans la capacité à compenser rapidement les pertes hydriques dès l’apparition des premiers symptômes. «Nous courons actuellement après un demi-million de litres de solution liquide!» lance Guillaume Queyras.
La section suisse de MSF a déjà acheminé une dizaine de «kits choléra» dans les arrondissements de Cap-Haïtien et Léogâne: des tentes de 45 m2, pouvant contenir environ dix lits, où tout est prévu pour accueillir les patients durant la phase décisive des premiers jours. «Il s’agit de tentes standards, fabriquées dans une toile bien aérée, facile à traiter. Il y a un circuit dans lequel les patients sont intégrés, avec une zone d’entrée pour les malades très infectés, jusqu’à la zone de sortie pour ceux qui sont guéris. Naturellement, il faut tout le temps traiter toutes les unités au chlore», explique Guillaume Queyras. La section suisse de MSF prévoit d’expédier une quarantaine de kits supplémentaires la semaine prochaine depuis Bordeaux (l’un des deux centres d’approvisionnement de l’organisation humanitaire en Europe, avec Bruxelles).
«Nous essayons de véhiculer des messages de prévention – par exemple, faire bouillir l’eau de consommation – mais les gens sont dans un tel état de détresse qu’ils ont du mal à y prêter attention», déplore Pascale Giron, porte-parole de Médecins du monde à Genève. Caritas Suisse a également lancé une campagne d’information, pour un coût total de 600 000 francs. Vendredi dernier, l’ONU a évalué les fonds nécessaires pour sortir Haïti du choléra à 163,8 millions de dollars. «Si la Communauté européenne honore ses promesses de dons, nous avons des chances d’y arriver, estime Guillaume Queyras. Pour l’instant, nous travaillons dans l’urgence. Pour vaincre sûrement la maladie, il faudra effectuer un travail à long terme visant le rétablissement des sources d’eau potable, des canalisations, des systèmes d’épuration des eaux et d’élimination des déchets.»