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A Bornéo, des fresques parmi les plus anciennes du monde ont été découvertes

Mains en pochoir, animaux, silhouettes humaines… Découvertes à partir des années 1990, les fresques pariétales de la partie indonésienne de Bornéo remonteraient, pour certaines, à 52 000 ans, d’après une nouvelle analyse

Représentation d’un bovidé sauvage retrouvée dans une grotte de Bornéo. — © Dwi Oblo ©
Représentation d’un bovidé sauvage retrouvée dans une grotte de Bornéo. — © Dwi Oblo ©

L’histoire a commencé en 1988, quand le spéléologue et explorateur français Luc-Henri Fage réalise un trek avec des amis à Bornéo. Ils découvrent alors des dessins au charbon de bois dans une grotte. Quatre ans plus tard, Luc-Henri Fage invite son compatriote, l’archéologue Jean-Michel Chazine, à les étudier. C’est le début d’une aventure qui mène à la mise au jour, en 1994, d’une première grotte ornée de fresques – six mois avant la découverte de la grotte Chauvet en France.

© Max Dating ©
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Le duo – rejoint en 1995 par l’archéologue indonésien Pindi Setiawan – en découvrira beaucoup d’autres. Luc-Henri Fage raconte: «Il y avait des mains négatives sublimes, qu’on pensait âgées d’au moins 20 000 à 25 000 ans, car elles avaient une patine archaïque avec des coulées de calcite» (un composé chimique, également appelé carbonate de calcium, qui est déposé par les infiltrations d’eau). Les découvertes vont cependant prendre du temps, car la région est particulièrement hostile, hérissée de pitons rocheux qu’il faut franchir et vierge de rivières navigables. Depuis, des milliers de peintures rupestres ont été identifiées dans 52 grottes.

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La seule datation obtenue jusqu’à aujourd’hui était d’environ 10 000 ans. Mais d’autres fresques sont beaucoup plus anciennes, annonce une équipe australo-indonésienne dans une étude parue dans la revue Nature. Le groupe, dont fait partie Pindi Setiawan, a collecté des échantillons dans six grottes – dont quatre découvertes par Luc-Henri Fage et ses collègues – pour les dater en comparant la teneur en uranium et en thorium dans les carbonates. «Plus la calcite comporte une proportion importante de thorium, plus elle est ancienne. Un prélèvement en épaisseur au niveau d’une fresque permet donc de dater la couche de calcite située sous le pigment, et celle située immédiatement au-dessus», explique le Canadien Maxime Aubert, le principal auteur de l’article.

Bovins sauvages

Certaines peintures remonteraient à environ 21 000 ans. Mais d’autres sont recouvertes d’une calcite qui serait âgée de 40 000 à 52 000 ans, ce qui en ferait les œuvres les plus anciennes jamais datées. A titre de comparaison, celles trouvées dans la grotte Chauvet remonteraient à 35 000 ans et celles de la grotte espagnole du Castillo à 40 000 ans. Les fresques de Bornéo peuvent être classées selon plusieurs phases, les plus vieilles mettant en scène des animaux évoquant des bovins sauvages, les plus récentes s’orientant vers la représentation de figures humaines.

«L’idée que des fresques aussi anciennes aient pu être découvertes dans cette partie du monde ne me choque pas, souligne l’archéologue française Carole Fritz, qui travaille notamment sur la grotte Chauvet. Mais les datations réalisées par cette équipe présentent de gros écarts. Si la méthode uranium-thorium est très précise quand on possède des échantillons de grandes dimensions, la méthodologie pour les petits échantillons est encore très discutée parmi les scientifiques.»

Si des peintures ou des mains négatives sont estimées remonter à près de 52 000 ans, où sont les traces d’occupation humaine à proximité?Edwige Pons-Branchu, du Laboratoire français des sciences du climat et de l’environnement

Au Laboratoire français des sciences du climat et de l’environnement, la géochronologue Edwige Pons-Branchu reconnaît que Maxime Aubert est un spécialiste réputé de la datation uranium-thorium. «Il a trouvé des âges cohérents avec la position des couches de calcite, du plus vieux près de la paroi au plus jeune près de la surface. Mais cette technique n’est pas infaillible et il serait utile de vérifier ces résultats par une autre méthode.» Par exemple en utilisant le carbone 14 – un isotope radioactif – présent dans les différentes couches de calcite, ce qui n’a pas été fait.

«Remonter plus loin dans le temps»

«Leurs datations sont cohérentes, acquiesce Michel Fontugne, du Laboratoire méditerranéen de préhistoire. Mais il existe des processus qui tendent à expulser l’uranium de la calcite, ce qui augmente artificiellement la teneur en thorium et conduit à vieillir les datations. Une de nos études avait montré un grand écart de datation entre le carbone 14 et l’uranium-thorium sur des fresques du sud de Bornéo. Il restera un doute sur les datations de mes collègues tant que des analyses complémentaires n’auront pas été faites.»

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«En matière d’art pariétal, il est important de placer les datations dans un contexte archéologique, insiste Edwige Pons-Branchu. Si des peintures ou des mains négatives sont estimées remonter à près de 52 000 ans, où sont les traces d’occupation humaine à proximité? Il serait vraiment intéressant de chercher de telles traces pour confirmer un résultat aussi sensationnel.»

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De fait, dans la région, les plus anciens sites d’occupation fouillés par les archéologues français remontent à environ 20 000 ans. «Il faut continuer à prospecter les abris-sous-roche et les grottes dans ces montagnes karstiques insensées pour trouver le site qui permettra de remonter plus loin dans le temps», avance Luc-Henri Fage.