Ils ont beau travailler dans le même département de génétique et évolution de l’Université de Genève, Brigitte Galliot et Denis Duboule ne dérogent pas à la règle qu’ils se sont implicitement fixée il y a plus de trente ans. Un précepte simple, résumé dans une métaphore pour le moins originale. «Elle prépare le couscous, je fais la confiture», lâche, amusé, Denis Duboule. En clair, à la maison comme au boulot, c’est le principe de séparation des tâches qui prévaut.

Ce n’est pas très sain de travailler dans des structures identiques, certains couples y parviennent, mais ce n’est pas notre truc

De fait, si dans le laboratoire de régénération et neurogénèse adulte qu’elle dirige, Brigitte Galliot s’intéresse tout particulièrement à percer les secrets de la jeunesse éternelle des hydres, ces petits invertébrés appartenant à la famille des méduses et des coraux, Denis Duboule, professeur de génétique et de génomique à l’Université de Genève, cherche avant tout à comprendre comment le code génétique des vertébrés est mû pour parvenir à développer un embryon. Chacun à un bout de la chaîne, donc. Y compris celle de l’évolution.

«Ce n’est pas très sain de travailler dans des structures identiques, certains couples y parviennent, mais ce n’est pas notre truc. Il nous paraît essentiel d’avoir une sorte d’espace privé», confie Denis Duboule. Les deux chercheurs se sont pourtant rencontrés dans le même laboratoire. C’était en 1984, aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. «Je venais de terminer mes études de médecine à Paris, mais j’étais déçue par cette discipline, c’est pourquoi j’ai profité de ma période d’internat pour réaliser une thèse en science», se rappelle Brigitte Galliot. Denis Duboule, lui, cherche à l’époque une place de post-doctorat en biologie: «J’étais parti de Genève sans trop d’espoir d’y revenir. Je me suis retrouvé dans la même équipe que Brigitte et nous passions de nombreuses heures ensemble pour les besoins de la recherche. Depuis, nous ne nous sommes plus quittés.»

Trouver des compromis

La vie de chercheur n’est toutefois pas chose aisée à concilier au pluriel, d’autant plus lorsqu’elle nécessite de passer de longues périodes dans des centres de recherche à l’étranger. «Ce sont toutes les difficultés des parcours scientifiques mixtes. Il y a, en général, toujours l’un des deux qui souffre plus que l’autre dans ces déplacements, analyse Denis Duboule. On est obligé de trouver des compromis, ce que nous sommes heureusement bien parvenus à faire. Nous avons en effet toujours réussi à trouver des villes offrant une bonne concentration de laboratoires scientifiques, ce qui permettait d’engager deux personnes en même temps.» Des chemins parallèles, mais rapidement différenciés. «J’ai très vite su qu’il fallait que j’aille dans d’autres instituts que Denis, ajoute Brigitte. Sur le plan professionnel, je ne voulais pas être perçue comme «la femme de», même si à la ville, cela ne me dérangeait pas du tout.»

C’est ainsi qu’en 1988, le couple emménage ensemble à Heidelberg, en Allemagne. Denis Duboule y décroche un poste dans le Laboratoire européen de biologie moléculaire, structure au sein de laquelle il commence à publier ses différentes découvertes liées aux gènes Hox. Il parvient notamment à mettre en évidence leur rôle primordial dans la formation des membres des vertébrés et les mécanismes fondamentaux de leur fonctionnement.

Brigitte Galliot, elle, y trouve non seulement un institut pour y conduire son post-doctorat, mais également l’occasion de constituer son propre groupe de recherche dédié à l’hydre et ses propriétés exceptionnelles de régénération perpétuelle. Le tout, couronné par la naissance de leurs fils Marius, en 1988, et Théo, en 1992, troisième et quatrième enfants d’une fratrie recomposée d’un précédent mariage de la scientifique. Les deux chercheurs se déplaceront ensuite en 1993 à Genève, pour occuper leurs fonctions actuelles.

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Science censurée

On s’interroge tout de même: comment concilier une vie de couple, et de surcroît de famille, lorsque l’on est aussi engagé dans la recherche? «Si l’on veut faire une carrière scientifique, il est très important de choisir le bon père, lance avec un sourire la vice-doyenne de la Faculté des sciences, qui est également très impliquée pour améliorer la situation des femmes, et des minorités, dans le milieu scientifique. Denis s’est énormément occupé des enfants et ne m’a jamais reproché à un seul instant de devoir retourner au labo durant le week-end ou tard le soir.» La chercheuse avoue tout de même être passée par des phases très difficiles: «Il y a eu des moments où je me suis dit que j’allais tout arrêter, mais j’ai heureusement toujours eu le soutien de mon mari.»

«Ce type de carrière nécessite d’être très bien organisé sur un plan familial, complète Denis Duboule. L’avantage de travailler tous les deux beaucoup, c’est que l’on comprend cette difficulté à s’extraire de notre sujet de recherche, à penser sans cesse aux prochaines expériences que l’on pourrait conduire. Je suis d’ailleurs très admiratif du parcours de mon épouse. Par contre, nos enfants ont toujours censuré tout discours scientifique à la maison. On avait l’interdiction totale de parler de ce que l’on faisait au travail. Et au final, c’était très bien ainsi.»


Profil

1955: Naissance de Denis Duboule.

1956: Naissance de Brigitte Galliot.

1984: Rencontre au Centre hospitalier universitaire de Strasbourg.

1976-1979-1988-1992: Naissances de Gaëlle, Camille, Marius et Théo.

1992: Denis Duboule est nommé directeur du département de génétique et évolution et professeur à l’Université de Genève.

1992: Brigitte Galliot est nommée directrice du laboratoire de régénération et neurogénèse adulte de l’Université de Genève, puis vice-doyenne de la Faculté des sciences.