Technologies
Diminuer le trafic dans les villes ayant des plans d’eau grâce à des navires électriques appelés «SeaBubbles»: c’est le projet avant-gardiste du marin Alain Thébault

Voir «voler», sur les eaux du Léman, des petits bateaux électriques en forme de bulle. C’est le rêve d’Alain Thébault, inventeur d’un des voiliers les plus rapides au monde, l’Hydroptère. Sa dernière idée, les «SeaBubbles», semble en être la réalisation. Le marin a imaginé un type de transport aquatique, soucieux de l’environnement, qui a pour ambition notamment de réduire le trafic des centres-villes ayant des plans d’eau, ceci en produisant «zéro bruit, zéro vague et zéro émission», selon le slogan.
La technologie utilisée, comme sur l’Hydroptère jadis, est celles des foils. Il s’agit d’ailerons situés sous la coque d’un navire, qui lui permettent de s’élever au-dessus de l’eau lorsqu’il navigue à grande vitesse. De quoi fortement réduire la traînée puisque seuls les foils sont immergés. «L’engin dépense alors 40% d’énergie en moins pour son déplacement», dit Alain Thébault. En 2009, l’Hydroptère a ainsi franchi la barre symbolique des 100 km/h (l’équivalent du mur du son en aéronautique) avec pour seule propulsion la force du vent.
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C’est en juin 2015 qu’Alain Thébault, avec son acolyte Anders Bringdal, véliplanchiste aux multiples records, dessine le croquis futuriste d’une petite bulle volante électrique, elle aussi dotée de foils, qui pourrait selon eux, se déplacer à la vitesse de 30 nœuds (55 km/h).
Des pods et une batterie au lithium
Leur motorisation consistera en des «pods», petits boîtiers intégrant un moteur électrique et une hélice orientable à 360°. «Cette technologie est très connue, performante et classique pour des navires professionnels», souligne Guy Wolfensberger, directeur de Grove Boats, PME construisant des bateaux électriques solaires à Yvonand. «Chaque pod aura une puissance d’un peu moins de 10kW», assure Alain Thébault, qui ne se dit pas en mesure d’en divulguer plus. «Pour la propulsion d’un navire, le moteur est important mais ce qui l’est encore plus c’est l’hélice»; le marin l’imagine ayant cinq pales.
Une maquette a été testée il y a peu. Le prototype a fonctionné comme ses protagonistes le prédisaient. «Il est beaucoup plus difficile de faire naviguer une maquette au huitième de la taille normale, se réjouit Anders Bringdal. Car sur un modèle, une erreur d’un centimètre peut tout faire rater».
Selon Xavier De Montgros, président de l’Association française des bateaux électriques, «une vitesse de 30 nœuds ne me semble pas surestimée». Par contre il faut que la bulle soit légère et qu’elle puisse stocker une énergie suffisante à un déplacement de plus d’une minute, s’accordent à dire les deux constructeurs. La clé du projet semble dès lors se trouver dans une batterie légère et très performante, fonctionnant au lithium. Créateur de l’entreprise Hydros Innovation basée au Parc scientifique de l’EPFL, qui construit aussi des bateaux à foils, Jérémie Lagarrigue se borne à souhaiter «bon vent au projet, qui contient cependant encore quelques challenges technologiques à relever.»*
A terme, une SeaBubble pourra transporter quatre personnes et sera vendue entre 22 000 et 44 000 francs, avec le quai qui lui sert de borne de chargement électrique. De plus, «d’un point de vue technologique, il est envisageable qu’une SeaBubble soit pilotée à distance», indiquent tous les experts. D’ailleurs, les premiers soutiens financiers au projet ont été ceux d’Henri Seydoux, directeur de la société Parrot, spécialisée dans les drones et le téléguidage: «Je ne soutiens que rarement des projets de ce type-là, mais les SeaBubbles sont originales, respectueuses de l’environnement. Et une distribution à la 'Uber' semble être possible.»
Le projet suscite de l’intérêt en France. Un autre sponsor est Partech Ventures, un fonds d’investissement international. Romain Lavault, l’un de ses responsables, analyse: «Ce projet est interconnectable à d’autres types de transports, pour lesquels il y a une demande d’innovation sociale. Voilà une solution très élégante car elle ne nécessite pas de nouvelles infrastructures.»
Selon Alain Thébault, il y aurait un intérêt de la part de douaniers parisiens en charge du transport des ministres sur la Seine, mais leur responsable, contacté, n’a pas souhaité s’exprimer. Dans une lettre officielle, la maire Anne Hidalgo souhaite que «Paris soit la première capitale à tester les prototypes de bulles volantes électriques dès le printemps 2016.»
Un avenir sur le Léman?
Outre la France, Alain Thébault espère que son idée séduira aux Etats-Unis, à San Francisco, mais surtout en Suisse. Ce vendredi, le marin dit devoir rencontrer le responsable d’une multinationale installée sur la Riviera, qui verrait d’un bon œil une connexion lacustre rapide avec Lausanne. Il assure aussi avoir déjà rencontré deux banquiers privés à Genève.
La ville du bout du lac pourrait-elle être un lieu propice à l’exploitation des SeaBubbles? «Avec plusieurs ponts par lesquels le passage des véhicules semble inévitable, un trafic parallèle sur l’eau est très intéressant», dit Gianluigi Giacomel, chercheur à l’Observatoire universitaire de la Mobilité à Genève. Mais «il ne faut pas croire que les surfaces d’eau ne sont pas déjà exploitées», ajoute-t-il en faisant référence aux Mouettes, le service de traversiers de la rade, et la Compagnie générale de navigation (CGN). Sans compter, selon nombre d’experts interrogés, qu’il faudra que la population s’approprie ce mode de transport urbain supplémentaire. Cela dit, «les SeaBubbles auraient certainement une valeur touristique pour des villes comme Genève», conclut Gianluigi Giacomel. Pour Philippe Royer aussi, directeur du service de l’air et du bruit (SABRA) à l’Etat de Genève, «vu le développement de l’électromobilité en ville, ce projet correspondrait à ce vers quoi nous nous orientons».
* La première version de cet article a été modifiée après que les responsables de la société Hydros Innovation ont fourni leur commentaire.