Double première mondiale pour la Chine. Grâce à deux résultats publiés le 9 août dans la revue Nature, elle ­assure sa suprématie dans des techno­logies futuristes de communications ­dites quantiques, promettant notamment plus de sécurité dans les échanges. Elle touche là les bénéfices de son investissement dans un satellite affecté à ce genre de recherche, Micius, lancé de la Terre.

Si l’on ajoute à ces deux études une publication dans Science, le 16 juin, l’équipe de Pan Jianwei, de l’Université de sciences et technologie de Chine, a réalisé trois démonstrations essentielles, jusqu’alors seulement réussies au sol dans des ­fibres optiques: téléportation, intrication et cryptographie… Trois mots qui méritent quelques explications.

Depuis la série de science-fiction Star Trek, le concept de téléportation est ­associé au déplacement instantané d’un individu d’un point à un autre de l’univers. Plus modestes, les physiciens désignent par ce terme le transfert instantané de l’état d’un système vers un autre. Plus sobrement, la polarisation d’un grain de lumière, un photon, est exactement copiée sur un autre photon distant. C’est ce que les Chinois ont fait entre un télescope au Tibet et leur satellite.

Pas de téléportation sans intrication

L’intrication désigne une propriété étrange de la physique quantique, théorie qui décrit la matière aux petites échelles. C’est l’art de fabriquer une paire d’objets disposant d’un lien invisible qui fait que, même séparés, ils restent comme connectés entre eux. Agir sur l’un modifie immédiatement l’état de l’autre. Comme deux pandas jumeaux dont l’un sentirait les caresses faites à son alter ego éloigné. Là encore, les chercheurs ont utilisé des photons, envoyant les jumeaux depuis Micius jusque dans deux télescopes séparés de 1203 kilomètres. A noter que sans intrication, aucune téléportation n’est possible.

Enfin, la cryptographie quantique est une technique de chiffrement sûre. Pour chiffrer un message, il faut mélanger ce dernier avec une série de chiffres, appelée clé. Celle-ci servant également à déchiffrer, elle doit seulement être connue des deux personnes désirant échanger confidentiellement.

C’est comme suivre un cheveu se déplaçant à 300 mètres de distance

Pan Jianwei, de l’Université de sciences et technologie de Chine

En 1984, des chercheurs canadiens ont exposé un protocole permettant d’échanger en sécurité ces fameuses clés, non pas en interdisant l’écoute, mais en garantissant que les protagonistes sauront si l’échange a été écouté. Dans l’affirmative, ils n’utiliseront pas la clé et recommenceront. L’équipe chinoise a appliqué ce protocole entre le satellite et la Terre, parvenant pour les distances les plus faibles (600 kilomètres) à envoyer plusieurs milliers de bits d’informations par seconde.

Déjà fait sur Terre

«Ils ont résolu énormément de problèmes technologiques. C’est un gros projet d’ingénierie», salue Romain Alléaume, enseignant-chercheur à l’école Telecom Paris Tech et spécialiste de cryptographie quantique. Parmi les défis relevés, la miniaturisation de composants optoélectroniques complexes, leur certification pour l’environnement spatial et surtout le développement de techniques très précises de pointage et de suivi du satellite. «C’est comme suivre un cheveu se déplaçant à 300 mètres de distance», décrit Pan Jianwei.

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Ces progrès sont plus technologiques que scientifiques, car chacun de ces exploits a déjà été réalisé sur Terre. La vérification de l’intrication a été faite en France au début des années 1980 par Alain Aspect. Le premier échange de clés a été réalisé en 1989 au Canada. Depuis, des entreprises, comme IDQuantique en Suisse, commercialisent même de tels systèmes. La Russie a déployé à Kazan en 2016 un réseau de quatre nœuds échangeant des clés.

Pour la première fois, des tâches quantiques fondamentales sont réalisées entre la Terre et l’espace

Ronald Hanson, directeur du laboratoire ­Qutech à Delft

La première téléportation a été faite en Autriche en 1997 par l’équipe d’Anton Zeilinger, dans laquelle d’ailleurs le jeune Pan Jianwei travaillait. Ce groupe a par la suite multiplié les records, ­notamment en 2012, dans l’atmo­sphère, entre deux îles des Canaries ­séparées de plus de 140 kilomètres.

«Ce sont des développements fascinants, estime Ronald Hanson, directeur d’un des plus grands laboratoires ­d’infor­mation quantique en Europe, ­Qutech, à Delft (Pays-Bas). Les expériences chinoises ouvrent une nouvelle ère. Pour la ­première fois, des tâches quantiques fondamentales sont réalisées entre la Terre et l’espace. Relier quantiquement des systèmes éloignés devient réalité.»

Un Internet aux propriétés nouvelles

Passer par l’espace est nécessaire pour couvrir de grandes distances, car l’intrication ou la téléportation sont limitées à une centaine de kilomètres à cause de l’atténuation du signal dans les fibres optiques. Et contrairement au monde classique, il n’est pas possible en physique quantique d’amplifier et de répéter un signal. D’où l’intérêt du vide sidéral, dans lequel les pertes sont moins grandes, même en tenant compte de l’épaisseur de l’atmosphère – sauf en cas d’épais nuages.

Mais à quoi bon de tels réseaux, encore très coûteux? Un chiffrement plus sûr est évidemment une motivation, mais les techniques «classiques» actuelles fonctionnent, avec même des protocoles à clés non secrètes. «Les efforts actuels sur le calcul quantique mettent en danger ces systèmes et la cryptographie quantique est une ­réponse», précise Eleni Diamanti, chargée de recherche à l’Université Pierre-et-Marie-Curie à Paris. Les chercheurs ­rêvent aussi d’un «Internet quantique» aux propriétés nouvelles, comme celle d’y faire du calcul distribué sur plusieurs nœuds du réseau, sans que les nœuds ­accèdent aux données.

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La Chine n’est pas la seule à avoir compris ces enjeux cruciaux pour la défense ou la souveraineté nationale. La Corée du Sud, le Japon, Singapour ou le Canada ont des projets terrestres et spatiaux, ou dans l’air à partir de drones, ballons ou avions. En Europe, des chercheurs, dont Anton Zeilinger, ont tenté pour l’instant en vain de convaincre de l’intérêt de ­développer ces techniques spatiales. «Ces résultats devraient stimuler l’activité en Europe», espère Eleni Diamanti.

Pan Jianwei veut maintenant améliorer l’efficacité du système de cryptographie et, surtout, utiliser son satellite comme relais entre deux stations chinoises au sol, leur permettant de chiffrer en sécurité. En fin d’article, bons princes, les auteurs évoquent aussi la possibilité de collaborer avec l’Europe pour échanger des clés entre les deux continents.