Connexions moins denses chez les dyslexiques
Cerveau
La dyslexie serait due à une faiblesse des connexions neuronales. Cette avancée relance la recherche sur ce trouble de l’apprentissage de la lecture

La lecture et l’écriture font partie de notre vie courante. Ces tâches sont cependant difficiles à acquérir pour de nombreuses personnes qui ne manifestent pas de déficit visuel, auditif ou intellectuel. Cette affection s’appelle la dyslexie. Une nouvelle étude, parue vendredi dans Science , permet de mieux comprendre ses origines: les connexions neuronales chez les personnes dyslexiques seraient moins denses que chez les autres lecteurs, d’après une équipe internationale dirigée par le psychologue Bart Boets, de l’Université belge de Louvain.
Mais en quoi consiste exactement la dyslexie? C’est un trouble qui affecte la capacité à acquérir le langage écrit. Il se manifeste par des difficultés persistantes dans l’identification et dans la production de mots écrits. C’est-à-dire la lecture et l’écriture.
La dyslexie apparaît lors de l’apprentissage de la lecture. Les enfants dyslexiques éprouvent alors des difficultés à se représenter les sons du langage, c’est-à-dire la représentation phonologique. Quiconque veut acquérir un nouveau langage doit apprendre, en premier lieu, les petites unités de sons qu’il contient, les phonèmes. Puis toutes les variantes de ces représentations phonologiques: graves, aiguës, avec ou sans accents, etc.
Ces représentations sont traitées par le cerveau au niveau du cortex auditif. Elles doivent être robustes vis-à-vis des variations: toutes les variantes du son «b» doivent être associées au même son «b». Elles doivent aussi être distinctes: les «b» doivent être distinguées des «d». Les personnes dyslexiques éprouvent des difficultés à reconnaître les sons et à les différencier des sons proches.
Cette affection est généralement d’origine génétique. «Un risque familial de transmission existe. Un enfant a une chance sur deux d’être atteint si l’un des parents est lui-même dyslexique, indique Pascal Zesiger, professeur de psycholinguistique à l’Université de Genève. Mais une origine environnementale n’est pas à exclure.»
La dyslexie touche entre 3 et 8% d’une population utilisant l’alphabet latin. Un pourcentage dépendant des langues. «Chez les Anglo-Saxons, on constate une prévalence élevée, car la correspondance entre lettres et sons est plus délicate, explique Pascal Zesiger. Alors que le taux de dyslexie est bas chez les personnes italophones, en raison d’une correspondance plus simple entre sons et lettres.» Chez les francophones, la correspondance entre lettres et sons ne pose pas trop de problèmes en lecture. C’est au niveau de l’écriture que les problèmes sont les plus marqués, car l’orthographe française est très compliquée.
Les auteurs de l’étude publiée dans Science ont cherché à mesurer la qualité de robustesse et de distinction des représentations phonétiques au niveau du cerveau. A l’aide d’un instrument d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ils ont visualisé et comparé les empreintes cérébrales des sons chez des adultes dyslexiques et non dyslexiques. Lors de l’étude, les dyslexiques répondaient aux tests avec un retard d’environ 50% par rapport aux non dyslexiques.
«L’utilisation de la neuro-imagerie a permis de contourner un écueil: dissocier les représentations phonologiques de leur accès, explique Franck Ramus, psycholinguiste au Centre national de la recherche scientifique, à Paris. En utilisant une technique de «décodage cérébral», ils ont pu évaluer l’intégrité des représentations phonétiques dans le cortex auditif, et analyser leur connectivité pour évaluer l’accès au cortex auditif par d’autres régions cérébrales.»
Avec, pour résultat, le constat que les représentations phonologiques étaient intactes chez les deux populations. «Nous avons été surpris, car nous nous attendions à ce que ces représentations soient endommagées chez les dyslexiques», explique Bart Boets, le chercheur responsable de l’étude.
Cette avancée remet en cause l’hypothèse selon laquelle les zones de traitement du langage seraient abîmées chez les personnes dyslexiques. «L’étude est très intéressante, car elle constate que certaines connexions neuronales spécifiques sont moins denses et montrent une organisation cérébrale du traitement du langage différente», explique Pascal Zesiger. A partir de là, il a été confirmé que l’accès aux représentations était affaibli chez les dyslexiques entre les régions du cerveau traitant du langage.
Ces résultats ne sont toutefois pas «contradictoires avec les connaissances accumulées, précise Anne-Lise Giraud, professeure en neurologie à l’Université de Genève. Cela fait maintenant quelques années que la question de savoir si ce sont les représentations des sons de parole, ou l’accès à ces représentations qui sont altérées dans la dyslexie, est posée, sans que la psychologie expérimentale seule n’ait pu y répondre clairement». Un manque désormais comblé avec cette étude.
L’avancée est notable, mais n’explique pas tout: «Cette étude montre que les représentations des phonèmes sont aussi robustes chez les personnes dyslexiques que chez les non dyslexiques, mais pas vraiment qu’elles sont identiques, nuance Anne-Lise Giraud. La recherche de différences dans la nature des représentations est donc toujours d’actualité.» Un constat partagé par Pascal Zesiger: «On ne peut pas éliminer l’hypothèse d’une représentation phonologique déficitaire chez certains sujets dyslexiques, voire tous, mais à un plus jeune âge, puisque cette étude est réalisée auprès d’adultes.»
Si les débats ne sont pas clos dans la communauté scientifique, l’étude permet néanmoins d’ouvrir de nouvelles voies de traitement de la dyslexie chez les enfants ou les adultes. Actuellement, en travaillant avec un logopédiste, on peut améliorer la représentation des sons du langage en réalisant des jeux avec des rimes, des syllabes et des phonèmes. S’il s’agit plus d’un problème de connexion neuronale, comme l’étude le montre, «les logopédistes pourraient se concentrer sur le lien entre sons et lettres et sur son automatisation, explique Pascal Zesiger. Cependant, il n’existe aucune thérapie médicamenteuse possible».
«Cette étude relance, en tous les cas, la recherche dans le domaine de la dyslexie, analyse Anne-Lise Giraud. Les chercheurs doivent désormais comprendre pourquoi les connexions sont altérées. Les pistes restent donc multiples.»
La dyslexie touche entre 3 et 8% d’une population utilisant l’alphabet latin