Rien de plus archaïque que la forêt. Rien de plus moderne aussi à en croire l’intérêt croissant qui lui est porté en ce début de XXIe siècle. C’est que la forêt ne fournit pas que du bois, elle procure aussi à l’humanité une série de précieux «services environnementaux», en tant que réservoir de biodiversité et puits de carbone notamment. N’abrite-t-elle pas plus de la moitié des espèces animales terrestres? Et ne contient-elle pas deux fois plus de CO2 que l’atmosphère, de quoi aggraver sérieusement le réchauffement climatique? Or, la forêt inquiète. Année après année, elle diminue de superficie au niveau mondial. Pour rappeler son importance et dénoncer les dangers qui la guettent, l’Organisation des Nations unies (ONU) a décidé de lui consacrer cette année 2011.
L’affaire est déjà ancienne. Cela fait bien 10 000 ans que l’homme détruit des forêts, tantôt pour s’approvisionner en bois, tantôt pour étendre ses champs. La grande nouveauté de ces dernières décennies est que le phénomène s’est déplacé massivement des pays tempérés vers les tropiques, où il atteint désormais certaines des dernières régions préservées du globe, le bassin de l’Amazone ou du Congo, les îles de Bornéo ou de Nouvelle-Guinée.
Le déboisement est devenu parallèlement extrêmement rapide. Ces 60 dernières années, les forêts pluviales se sont réduites de plus de moitié et le couvert des deux tiers restants s’est éclairci. A l’origine de ces destructions figurent une myriade de petits paysans à la recherche désespérée d’un lopin mais aussi, et surtout, de grosses entreprises commerciales désireuses de répondre à une demande de nourriture, de fibre et de biocarburant en très forte expansion localement comme sur le marché international.
Ce mouvement ne semble pas irrémédiable pour autant. L’instance chargée de l’observer à l’échelle mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), assure qu’il s’est ralenti. Alors que la déforestation avait atteint la vitesse endiablée de 16 millions d’hectares par an au cours des années 1990, elle est revenue à un rythme un rien plus modéré de 13 millions d’hectares annuels durant la dernière décennie. Et puis, le phénomène se concentre presque exclusivement désormais en Afrique et en Amérique latine. En Europe, en Amérique du Nord et dans une bonne partie de l’Asie (Chine, Vietnam, etc.), la forêt est à l’inverse en nette progression.
«Ces évolutions sont étroitement liées à leurs contextes socio-économiques, explique Eduardo Rojas, assistant du directeur général de la FAO pour les forêts. Là où il y a permanence de la misère, le risque de déboisement est très élevé. Les forêts supportent mal les situations d’urgence. Dans l’immédiat après-guerre, tous les arbres ont été coupés autour de Berlin parce que les habitants de la capitale allemande manquaient de tout. Mais là où il y a développement et urbanisation, l’agriculture devient plus intensive et l’aménagement du territoire monte dans l’échelle des priorités. Résultat: la pression sur la terre se fait moins forte et les forêts ont tendance à regagner du terrain.»
Il est souvent question de la «transition démographique», processus au cours duquel le taux de mortalité baisse avant le taux de fécondité, ce qui provoque une augmentation brutale de la population avant un retour à la stabilité. Il existe sur le même modèle une «transition forestière», qui voit la couverture boisée se réduire rapidement sous la pression de la croissance économique avant de repartir à la hausse une fois atteint un certain niveau de richesse. Une partie de l’humanité, dans les pays en développement, vit en ce moment les deux transitions, tandis que l’autre partie, dans les pays développés, les a déjà dépassées.
Le défi à relever actuellement est de permettre aux pays en développement de passer cette étape sans trop de dommage pour la couverture forestière de la planète. L’instrument essentiel utilisé à cette fin a longtemps été la création d’aires protégées. Il s’est révélé assez efficace, puisqu’il a permis de sanctuariser quelque 13,5% des forêts du monde. Mais s’il présente encore un fort potentiel dans certaines régions perdues comme le bassin amazonien ou le Grand Nord, il est près d’atteindre ses limites ailleurs, là où il bute sur une forte présence humaine.
A la démarche réglementaire, il est de plus en plus tentant d’ajouter par conséquent une autre approche, de nature économique cette fois, basée sur des mécanismes de marché. L’idée est de rendre la forêt la plus rentable possible, de sorte que sa destruction devienne financièrement préjudiciable. Comment? En donnant un prix aux services environnementaux qu’elle fournit, comme possède un prix un produit commercial traditionnel comme le bois. Et ce n’est pas là une vague musique d’avenir: dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, des Etats ont d’ores et déjà commencé à financer le rôle de «puits de carbone» joué par un certain nombre d’étendues boisées.
La dernière grande conférence sur le climat, qui s’est tenue du 29 novembre au 11 décembre à Cancun, a remporté là l’un de ses rares succès. Au terme de ses travaux, le principal mécanisme de protection internationale de la forêt, REDD + (pour Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation), a été renforcé. «Les règles sont aujourd’hui établies, estime Eduardo Rojas. Il reste à investir dedans. Si les Etats jouent le jeu, ils pourraient obtenir des résultats dans de brefs délais.»
Quels résultats dans quels délais? «La stabilisation de la couverture forestière mondiale d’ici à la fin de la décennie, répond le responsable de la FAO. Dans le cas contraire, en revanche, nous risquons de ne pas y arriver avant beaucoup plus longtemps.»