Otites, angines, rhinopharyngites, bronchites… Avec l’arrivée des premiers frimas, les infections en tout genre tendent à se multiplier, surtout chez les enfants entre 0 et 6 ans dont le système immunitaire n’est pas encore arrivé à maturité.

Il peut parfois être difficile pour un pédiatre d’identifier l’origine, virale ou bactérienne, de la maladie, tout particulièrement avec les plus petits. Résultat: encore trop d’antibiotiques sont prescrits aux jeunes patients. Ainsi, selon une étude internationale publiée fin 2016 dans The Journal of Pediatrics, les enfants de moins de 3 ans se verraient administrer 2 à 3 fois plus d’antibiotiques que les adultes. Or, 80% des motifs de consultation chez les moins de 6 ans concernent des affections respiratoires et ORL en grande majorité virales, pour lesquelles les antibiotiques ne sont d’aucune utilité.

Dès lors, quand faut-il vraiment prescrire un antibiotique à un enfant? Le point avec Sandra Asner, médecin responsable de l’unité d’infectiologie pédiatrique et vaccinologie au CHUV à Lausanne, à l’occasion de la Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques qui se tient du 13 au 19 novembre.

Le Temps: On parle actuellement beaucoup de résistance aux antibiotiques. Ce phénomène constitue, selon l’OMS, l’une des plus graves menaces pesant sur la santé humaine. Les enfants sont-ils aussi touchés?

Sandra Asner: Cela concerne autant les enfants que les adultes, car les souches bactériennes résistantes qui circulent à l’hôpital ou en ville se transmettent sans discrimination d’âge. Cette résistance des bactéries s’explique essentiellement par une prescription d’antibiotiques majorée ces dernières années, avec une augmentation, à l’échelle mondiale, de plus de 36% entre 2000 et 2010.

– Quelles en sont les conséquences concrètes sur les plus jeunes?

– On voit actuellement émerger des bactéries résistantes à la pénicilline ou aux céphalosporines, deux antibiotiques régulièrement administrés aux enfants. Ainsi, nous considérons aujourd’hui qu’environ 10% des bactéries à Gram négatif responsables des infections urinaires, comme Escherichia coli, ne sont plus sensibles aux céphalosporines et qu’environ 20% sont devenues résistantes aux quinolones, ce qui oblige à passer à des antibiotiques à large spectre comme les carbapénèmes. C’est un réel problème, car nous n’avons malheureusement plus beaucoup d’autres d’options thérapeutiques et les quelques nouvelles molécules disponibles sur le marché suisse ne sont pas encore approuvées chez les enfants.

– Les recommandations concernant le traitement de plusieurs maladies ont changé ces dernières années, mais certains mythes ont la vie dure…

– En effet. Beaucoup de personnes sont encore convaincues que toutes les otites ou pneumonies, par exemple, doivent être soignées par des antibiotiques. On a tendance à oublier que la majorité des infections chez l’enfant sont d’origine virale, donc spontanément résolutives, et ne nécessitent dès lors pas d’antibiotiques. C’est notamment le cas de la plupart des otites, pour lesquelles on prescrivait encore systématiquement des antibiotiques il y a une quinzaine d’années. C’est pourquoi ce n’est plus que sur la base de critères cliniques précis et chez les enfants de moins de 2 ans – que l’on sait plus sensibles aux complications — que la prescription d’antibiotiques est justifiée.

– Et qu’en est-il des angines à streptocoques?

– Il existe encore plusieurs courants de pensée en Europe. En Suisse, comme en Italie ou en France, on propose encore un traitement par antibiotique par pénicilline ou amoxicilline afin de diminuer la durée moyenne des symptômes et donc la transmission de l’infection, mais aussi afin d’éviter les complications comme les abcès. La crainte souvent associée aux angines à streptocoques était également liée à la transmission de souches dites rhumatismales, à l’origine des fièvres rhumatismales aiguës. Cependant, selon l’Office fédéral de la santé publique, il n’y a pratiquement plus de bactéries de ce type en circulation depuis au moins une décennie.

Par ailleurs, il faut également savoir que 30 à 40% des enfants à qui l’on fait un frottis de gorge sont des porteurs sains du streptocoque. Ainsi de nombreux pays comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique ne recommandent plus des antibiotiques pour le traitement des angines à streptocoques. Une étude en cours sur les sites du CHUV et des HUG à ce sujet devrait permettre de clarifier voire de changer notre prise en charge de ce type de pathologie.

– Quand la prescription d’antibiotiques à un enfant est-elle dès lors légitime?

– Les médecins doivent absolument rester très attentifs aux situations qui nécessitent des antibiotiques en urgence, comme les méningites ou les septicémies. Il faut également être très vigilant avec les bébés ayant moins d’une année, notamment les nouveau-nés, car leur état peut se dégrader plus rapidement, ou avec des enfants montrant des signes cliniques particulièrement inquiétants comme une fièvre élevée persistante, des convulsions prolongées ou encore une somnolence. De ce fait, nous travaillons à former et sensibiliser nos cliniciens à identifier rapidement les situations pour lesquelles une prescription d’antibiotiques ne doit pas être retardée.


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