«Je plaide pour l'homo rigolus, pas l'homo tristus». Il lançait cela après avoir dit à quel point le monde des années 2010 n'est pas aussi sombre qu'on le dit, et avant de repartir dans une explication astrophysique. Logorrhée passionnante, parole emportée et qui emportait, André Brahic a passionné les téléspectateurs et les auditeurs de radio tout au long de sa carrière – ainsi que les lecteurs, notamment ceux du Temps, dont il fut chroniqueur de 2009 à 2012. Scientifique et passeur de science, André Brahic est décédé des suites d'un cancer ce dimanche, à l'âge de 73 ans.

Voir. Cette conférence de 2013, où il plaidait pour l'homo rigolus:

Le découvreur d'anneaux

Dans le monde scientifique, il était donc astrophysicien, professeur à l'Université Paris-Diderot. Il s'était illustré, entre autres tâches, comme membre des équipes scientifiques des missions Cassini et Voyager. Voyager, d'ailleurs, a confirmé cinq ans plus tard ce qu'André Brahic a découvert en 1984 avec William Hubbard: l'existence des anneaux de Neptune. Jusqu'ici, seule Saturne était affublée avec certitude de ses anneaux.

Dans un bel hommage, Le Monde écrit: «André Brahic était de ces garnements souriants à qui on pardonne tout. Qui livrait à Odile Jacob les manuscrits d'Enfants du Soleil ou de Lumières d'étoiles plusieurs années après la date prévue. Qui ne travaillait pas le matin parce qu'il se couchait à l'aube et se levait à midi. Qui mettait des heures à répondre à trois pauvres questions d'un journaliste… André Brahic était aussi, à sa manière, un doux rêveur.» Un farceur aussi, qui annonçait vouloir se présenter à l’élection présidentielle de 2027 – avant, il n'avait pas le temps.

La vulgarisation, au sens noble

Et il y a le vulgarisateur, au sens le plus noble du terme. Le grand public gardera cette image d'un passionné sans limite, qui saoulait son auditoire de mots tout en restant parfaitement compréhensible, et captivant.

Où qu'il se rende à présent, une chose est sûre en dépit du mystère de la mort: il se balade dans cet espace qu'il n'a cessé de contempler. Un astéroïde a été baptisé «(3488) Brahic».


En hommage, trois chroniques d'André Brahic dans «Le Temps»:

L’énergie du futur

Dans la nuit du 20 mars, nous avons atteint l’équinoxe qui marque le début du printemps. Le Soleil s’est couché exactement à l’ouest et levé exactement à l’est, le jour et la nuit ont eu des durées identiques. Toutes les civilisations ont célébré ce moment.

De nos jours, les astronomes l’observent sur les autres planètes. Saturne mettant près de 30 ans pour accomplir une révolution autour du Soleil, l’équinoxe n’y survient que tous les 15 ans. La Terre et le Soleil passent à ce moment-là dans le plan des anneaux. Vus par la tranche, ils disparaissent pratiquement de notre vue. Cela avait beaucoup surpris Galilée en 1612. Depuis, chaque équinoxe a été observé. En août 2009, pour la première fois, une sonde spatiale était là «au bon moment». D’étonnantes images nous ont révélé des ombres de satellites et donné accès à la structure verticale des anneaux.

Au moment où le Japon souffre des conséquences d’un effroyable tremblement de terre et où les approvisionnements en pétrole provoquent de nombreux troubles, la recherche d’une énergie peu polluante et bon marché devient cruciale. Nous aimerions pouvoir déclencher la fusion, comme dans le Soleil. Pour cela, les chercheurs tentent de comprimer la matière à des températures et des pressions si élevées que la fusion pourrait démarrer et fournir une source d’énergie pratiquement inépuisable. Le confinement de la matière par de forts champs magnétiques est un sujet de recherche vital aujourd’hui.

Quel rapport avec les anneaux? La découverte d’arcs de matière autour des planètes géantes fut une surprise. Leur partie interne tournant plus vite que leur partie externe, ils devraient s’étaler en un anneau complet en quelques jours. Leur existence nous prouve que les forces de gravitation exercées par de petits satellites proches les confinent efficacement. Les conditions autour des planètes et dans nos laboratoires sont bien différentes, mais les équations décrivant ce confinement sont semblables dans le cas de la gravitation et du champ magnétique. Cela illustre bien l’universalité des phénomènes physiques.

Etant à l’origine de la découverte des arcs de Neptune en 1984, j’ai eu le privilège de les baptiser «Courage, Liberté, Egalité et Fraternité». Ils ont en effet été photographiés en 1989, date du 200e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme. Les premières lettres «CLEF» symbolisent la clef de la portée de musique et celle d’une serrure. L’harmonie du ciel et la curiosité des hommes se retrouvent pour explorer le monde. Les découvertes surgissent toujours là où on ne les attend pas. (3 mars 2010).


Des rêves à la réalité


Depuis des millénaires, plusieurs esprits éclairés ont compris que les étoiles étaient des soleils lointains entourés de planètes. Il y a 2300 ans, Démocrite l’enseignait déjà à ses étudiants. Giordano Bruno était brûlé vif en place de Rome le 17 février 1600, en soutenant que la Terre n’était pas au centre de l’Univers et que des planètes pullulaient autour des étoiles. Quant à Fontenelle, il publiait en 1686 ses fameux entretiens sur la pluralité des mondes qui allaient inspirer tant de ses contemporains. Le moment est venu où ce qui n’était que le fruit de l’imagination devient réalité.

Depuis la détection d’un compagnon de l’étoile 51 Pégase par les astronomes Michel Mayor et Didier Queloz, les découvertes d’exoplanètes se sont succédé: 710 sont maintenant répertoriées et un millier d’autres sont des candidates sérieuses qui demandent à être confirmées par de nouvelles observations. La dernière trouvaille en date, celle de Kepler-22b annoncée lundi soir, est particulièrement intéressante.

Si nous sommes effrayés par la crise ou devenus misanthropes devant l’irresponsabilité des hommes, il nous faudra attendre encore quelques années pour déménager. Mais la découverte d’astres habitables devrait marquer un profond tournant dans notre histoire. En s’aventurant au-delà de la Méditerranée, les Européens ont exploré la Terre. En multipliant les observations, les astronomes ouvrent une nouvelle page. Tout est en place pour que nos rêves d’exploration au-delà de notre système solaire deviennent réalité dès le XXIe siècle.

Entre les premiers hommes sur Terre et l’arrivée sur la Lune, il s’est écoulé moins de trois millions d’années, c’est-à-dire un temps très court face à l’âge de l’Univers de 13,7 milliards d’années. Loin de la folie de nos ancêtres qui croyaient que la Terre et l’Homme étaient au centre de l’Univers, nous ne pouvons qu’être éblouis par l’intelligence des hommes qui ont compris tant de choses en si peu de temps.

Même si l’obscurantisme et l’irrationnel sont encore présents dans le monde contemporain, même si les hommes se sont souvent rendus coupables de massacres et d’intolérance, même si les fondamentalistes de tous bords et les marchands d’illusions s’agitent ici ou là, les bonnes nouvelles scientifiques s’accumulent et nous devons être très optimistes sur la suite de notre histoire en n’oubliant jamais que seules l’éducation, la recherche et la culture nous permettront de progresser. (7 décembre 2011).


Vous êtes sur cette photo!

La sonde Cassini, qui nous dévoile les merveilles de Saturne, de ses anneaux et de ses satellites, a pris la photographie ci-dessus. On peut y voir la planète et ses anneaux à contre-jour, le Soleil étant masqué par Saturne. Bien au-delà des anneaux habituels, de petits grains de poussière, de quelques microns à quelques millimètres de dimension, diffusent la lumière du Soleil. Au bout de la flèche, un petit point nous fait penser à un satellite de Saturne. En fait, ce point de lumière n’est autre que la Terre qui, vue de Saturne, est angulairement proche du Soleil. A l’heure où ce cliché a été pris, il faisait beau en Suisse. Vous êtes donc sur la photo avec tous vos amis et tous les lecteurs du Temps!

Bien au-delà de la beauté du cliché, ce document symbolise tout ce que l’exploration des astres peut nous apporter. Un physicien ou un chimiste fait des expériences sur les objets qu’il étudie. Il les chauffe, les refroidit, les bombarde, les irradie, les compresse, change leur composition, etc. Il en déduit leurs propriétés. Nous ne pouvons pas faire cela pour mieux connaître la Terre. Pourtant, les problèmes ne manquent pas avec la pollution, le réchauffement climatique, la couche d’ozone. Depuis quelques années, grâce à l’exploration spatiale, nous pouvons comparer la Terre avec les autres planètes. Certaines sont plus ou moins froides, d’autres plus ou moins chaudes, d’autres plus ou moins denses. Nous sommes capables de comprendre le rôle de chaque facteur. Par exemple, les volcans terrestres ne sont qu’un cas particulier d’un phénomène plus général d’évacuation de chaleur sur d’autres surfaces. En ces temps de tempêtes, nous venons de découvrir dans l’atmosphère de Saturne des cyclones avec des vents soufflant à plus de 600 km/h sur les parois ainsi que des vents équatoriaux de plus de 1800 km/h. Cela permet aux météorologistes terrestres de tester leurs modèles dans ces conditions extrêmes, et de les améliorer. Plus généralement, la Terre n’est pas seule dans l’espace. Elle est une planète parmi d’autres et nous ne progresserons qu’en développant cette nouvelle science qu’est la planétologie comparée.

Nous pouvons mesurer les progrès réalisés depuis Voltaire, qui, dans ses Lettres philosophiques, disait: «Consolons-nous de ne pas savoir les rapports qui peuvent être entre une araignée et l’anneau de Saturne et continuons à examiner ce qui est à notre portée.» Aujourd’hui Saturne est à notre portée! (3 mars 2010).