Le soleil, la chaleur, les masques qui tombent dans les transports publics et même les hôpitaux… Autant d’éléments qui pourraient nous pousser à croire que la pandémie de Covid-19 est bel est bien terminée. Et pourtant… Le SARS-CoV-2 circule toujours activement dans la population, comme en témoigne le cas du Portugal qui a récemment subi une hausse du nombre de cas, d’hospitalisations et de décès.

La Suisse a, quant à elle, enregistré 16 177 cas en plus depuis le 7 juin, contre 9702 la semaine précédente, selon les statistiques de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), témoin d’un léger rebond épidémique. Alors comment surveille-t-on l’évolution de la situation épidémiologique malgré la baisse du nombre de tests effectués? Peut-on s’attendre à une nouvelle vague à l’automne? Quelles seront les mesures ou la stratégie vaccinale à mettre en place? Le Temps fait le point en 10 questions avec l’aide de trois experts.

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Quelle est l’ampleur du rebond observé en Europe et en Suisse?

Le sous-variant d’Omicron BA.5 s’est imposé depuis la mi-avril au Portugal et il est à l’origine d’une nouvelle vague d’infections et de décès dans le pays. Le 10 juin, le Portugal a ainsi dénombré 3059 nouveaux cas en deux semaines pour 100 000 habitants, soit une incidence quatre à dix fois plus élevée que le reste des pays d’Europe.

Le Portugal est actuellement le seul pays du Vieux-Continent où le sous-variant BA.5 est dominant. Mais selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, les sous-variants d’Omicron BA.4 et BA.5 sont déjà présents dans tous les pays d’Europe où ils vont s’imposer dans les semaines à venir et causer une nouvelle flambée des cas.

Qu’en est-il en Suisse? Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui disposent du suivi des variants le plus à jour du pays, ont indiqué dans leur dernier rapport que ces sous-variants d’Omicron sont d’ores et déjà dominants à Genève.

Concernant le nombre de cas confirmés, l’augmentation est pour l’heure faible, avec une incidence de 298 nouveaux cas pour 100 000 habitants en 14 jours, soit une hausse de 53% par rapport à il y a une semaine (195).

Toutefois, en raison de la faible quantité de tests réalisés et du taux élevé de positivité, le nombre réel d’infections pourrait être cinq fois plus élevé que celui annoncé par les statistiques officielles, comme estimait dans nos colonnes Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève. Depuis la dernière vague Omicron en avril, le suivi épidémiologique du virus a, en effet, considérablement été réduit en Europe et particulièrement en Suisse, qui réalise peu de dépistages malgré un taux de tests positifs élevé.

En l’absence d’un nombre suffisant de tests, le taux de positivité constitue un meilleur indicateur de la propagation du virus que le nombre de cas confirmés. Sur cette base, il est clair que la Suisse connaît déjà un rebond du taux de tests positifs depuis fin mai, ce qui laisse présager également une circulation plus importante du virus dans la population. «Nous ne voyons actuellement que la pointe de l’iceberg», illustre Frédérique Jacquérioz, médecin adjointe responsable du centre de vaccination et dépistage des HUG.

Comment surveille-t-on l’évolution de la situation épidémiologique, malgré la baisse du nombre de dépistages?

«Avec la levée des mesures, nous avons perdu la vision sur l’évolution de l’épidémie au jour le jour, explique Frédérique Jacquérioz. Nous identifions toujours les variants présents dans les échantillons positifs, mais nous ne pouvons plus vraiment quantifier la circulation du virus dans la communauté.»

«Il semble que les personnes symptomatiques se font beaucoup moins tester, appuie Julien Riou, épidémiologiste à l’Université de Berne. C’est un vrai problème pour la surveillance, qui repose principalement sur le nombre de cas confirmés.»

Alors comment faire pour, malgré tout, surveiller l’évolution de l’épidémie? Plusieurs indicateurs – comme l’augmentation de la demande en tests chez les personnes symptomatiques, les hospitalisations, le taux de positivité, les éclosions dans les milieux à risque (comme les établissements médicosociaux) ou encore l’évolution de l’épidémie dans les pays voisins – peuvent être utilisés. La surveillance des eaux usées est également un outil très puissant, selon Tanja Stadler, ancienne présidente de la task force scientifique de la Confédération et spécialiste de l’évolution des virus: «L’augmentation récente du nombre de cas a été observée dans les eaux usées ainsi que dans les données sur les cas à peu près au même moment. Cela constitue une preuve solide que l’augmentation est réelle.» A noter que les données de séquençage des eaux usées peuvent également permettre de détecter et quantifier la propagation des variants du SARS-CoV-2. «Cependant, comme BA.4 et BA.5 sont très semblables à BA.2, il est difficile de distinguer ces variants dans les données sur les eaux usées», précise Tanja Stadler.

Sera-t-il possible de détecter suffisamment tôt l’apparition d’une nouvelle vague?

La réponse à cette question relève d’une logique implacable: plus on réalise de séquençages, plus vite on est en mesure de quantifier la propagation future d’un variant. «En Allemagne, par exemple, où le séquençage est beaucoup plus important qu’en Suisse, la propagation du sous-variant BA.5 a déjà été quantifiée alors qu’il ne représentait que 1% des infections, pointe Tanja Stadler. En Suisse, cela n’a été possible que lorsque BA.5 représentait 5% des infections. Séquencer davantage signifie aussi que nous pourrions réagir plus rapidement si nécessaire.»

Y aura-t-il une résurgence de l’épidémie en automne?

S’il reste délicat de faire des projections à long terme, les experts s’attendent néanmoins à une forte circulation du virus durant la saison froide. De quoi compromettre d’éventuels projets de vacances à l’étranger? «Il s’agit là d’une question politique, répond Tanja Stadler. Sur un plan scientifique, les interdictions de voyager n’ont jamais permis d’empêcher la propagation d’un variant, mais seulement de retarder un peu le processus. En général, le principal défi, avec les nouveaux variants, est de ralentir la transmission locale.»

«Les voyages favorisent l’exposition au virus, mais cela dépend beaucoup du lieu et de la période, complète Julien Riou. Si on parle du risque d’annulation de vacances, il est possible que certains pays requièrent un vaccin récent ou un test négatif au moment de partir. Les candidats au voyage devront suivre ces règles et faire très attention dans les semaines précédant le voyage.»

Doit-on s’attendre à un rebond des hospitalisations et des décès en Suisse, comme on l’observe actuellement au Portugal?

«Il est trop tôt pour le dire, analyse Frédérique Jacquérioz. Pour l’instant, il n’y a pas de données établissant une plus grande sévérité de BA.4 et BA.5, mais tout dépend de la susceptibilité dans la population. Les personnes infectées par le sous-variant BA.2 semblent en effet être mieux protégées contre BA.4/BA.5 que si elles l’avaient été précédemment par le variant Delta ou le sous-variant BA.1 d’Omicron, et il faut également tenir compte du moment où la population a été vaccinée ou du type de vaccins utilisés.»

Lire aussi: Covid-19: vers une nouvelle vague des variants BA.4 et BA.5 cet été?

«Etant donné que la Suisse a connu des vagues de vaccination et d’infections différentes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’immunité des deux populations est comparable», appuie Tanja Stadler.

«Si les cas continuent à monter, et cela semble probable, les hospitalisations et les décès suivront en Suisse avec un délai, pointe de son côté Julien Riou. Toutefois, comme l’immunité vaccinale ou post-infection reste protectrice contre les formes sévères, on observera probablement, comme l’hiver dernier, un découplage entre les cas et les formes sévères.»

L’augmentation des infections peut-elle faire penser à une baisse de l’immunité au sein de la population?

Une chose est sûre: Omicron a vraiment changé la donne. Avant l’apparition de ce variant, extrêmement transmissible, les réinfections étaient rares. Une étude parue dans le New England Journal of Medicine (NEJM) à la fin mars, et dirigée par une équipe de l’Institut de médecine Weill Cornell au Qatar, a ainsi conclu qu’une infection par Delta ou une souche antérieure du SARS-CoV-2 permettait de prévenir une nouvelle infection d’environ 90% chez les personnes non vaccinées. Les scientifiques soulignent néanmoins que depuis l’apparition d’Omicron, les infections précédentes (avec un ancien variant ou les premiers sous-variants d’Omicron) n’offrent plus qu’une protection d’environ 50% contre une réinfection.

Plusieurs études s’intéressent également aux facteurs pouvant conduire à des risques plus élevés d’être réinfecté par le Covid-19. On sait déjà que les personnes âgées ou immunodéprimées ont un système immunitaire moins performant, qui les rend plus vulnérables à une réinfection, mais le temps écoulé depuis une précédente infection peut également augmenter le risque d’attraper à nouveau le Covid-19. Une étude publiée en octobre 2021 dans The Lancet estimait qu’une réinfection pouvait survenir dès trois mois après une première manifestation de la pathologie. Une protection qui serait encore plus faible avec l’apparition du variant Omicron, comme le montre un travail en prépublication conduit par des chercheurs danois et paru en février sur le site MedRxiv. Leurs observations ont permis de montrer que certaines personnes avaient été réinfectées par le sous-variant BA.2 d’Omicron vingt jours seulement après avoir été infectées par BA.1.

Enfin, une rare mutation génétique qui neutralise l’activité des interférons de type 1 (des molécules antivirales) pourrait exposer les personnes concernées à des risques plus élevés de symptômes graves du covid, mais aussi à de possibles réinfections.

Quelle est l’efficacité du vaccin contre le variant Omicron?

Différentes études se sont penchées, avec l’arrivée du variant Omicron, sur l’efficacité de la vaccination à protéger contre la transmission du Covid-19 ainsi que les formes graves de la maladie. Selon une publication parue fin avril dans le NEJM, la protection contre une infection symptomatique tombe à environ 10% cinq mois après l’administration de deux doses du vaccin de Pfizer/BioNTech et à environ 15% pour le vaccin de Moderna. A noter qu’aucun effet n’était plus observable à partir de vingt semaines après l’administration de deux doses d’AstraZeneca. Une vaccination de rappel (troisième dose) permet d’augmenter cette protection à environ 70%, tant avec le vaccin de Pfizer/BioNTech qu'avec celui de Moderna, mais cette dernière diminue à 45% après dix semaines pour le premier et à 65% après cinq à neuf semaines pour le second.

Concernant les formes graves, selon la plateforme d’information suisse Infovac qui cite des données internationales, la protection contre les hospitalisations après la deuxième dose ne s’élève plus qu’à environ 50% après quatre mois. Néanmoins, après la vaccination de rappel, l’efficacité contre les hospitalisations dues au variant Omicron remonte à environ 90%, et ne diminue que très légèrement (entre 75 à 80%) après trois à quatre mois.

Quelle stratégie vaccinale devrait-on mettre en place d’ici à l’automne?

«Ces informations concernant l’efficacité des vaccins impliquent la nécessité de rappels vaccinaux réguliers, surtout pour les personnes fragiles, souligne Julien Riou. Selon la périodicité des vagues, cela pourrait aller jusqu’à tous les six mois pour une protection maximale.»

«Il faudrait promouvoir la vaccination, en particulier le deuxième booster pour les personnes vulnérables, dès les premiers signes d’une recrudescence du nombre de cas et ceci sans attendre la fin de l’été», ajoute de son côté Frédérique Jacquérioz.

Est-ce que cela pourrait signifier également le retour du certificat covid? «Les vaccins actuels ne protègent pas bien contre les transmissions dues au variant Omicron, il n’y a donc, pour l’heure, aucune base scientifique pour les certificats si leur objectif est de prévenir la transmission», répond Tanja Stadler.

Face à l’augmentation des cas, devra-t-on réinstaurer des mesures?

Verra-t-on le retour du masque dans les transports en commun ou dans les endroits fermés ou mal aérés, en cas de résurgence des cas? Difficile d’imaginer, aujourd’hui, un retour en arrière, tant la pandémie de Covid-19 semble avoir été vite oubliée.

«Selon moi, il ne faudrait pas hésiter à faire preuve de souplesse et à remettre des mesures en place de façon temporaire dès que la situation épidémique se détériorera, pointe Julien Riou. Le port du masque, par exemple, a un impact très faible en termes de coûts financiers et de nuisance pour la population, mais peut avoir une efficacité importante contre la transmission. Si le gouvernement est frileux quant à une vraie obligation, il faudra tout mettre en œuvre pour convaincre les gens de recommencer à respecter les gestes barrières, au moins quand ils ont des symptômes. Il est aussi crucial de rappeler l’importance de se faire tester lorsqu’on a des symptômes, particulièrement lorsqu’on est entouré de personnes vulnérables.»

Si on observe une remontée des cas, qui devrait prendre des décisions? Faudrait-il un retour de la task force scientifique?

Pour l’heure, la Confédération reste sur une ligne bien établie: en cas de résurgence de la pandémie d’ici ces prochains mois, les cantons devront prendre seuls les décisions qui s’imposent, notamment dans la mise en place de mesures, avec le risque d’une nouvelle cacophonie entre ces derniers.

Qu’en pense Tanja Stadler, ancienne présidente de la task force scientifique de la Confédération? «De mon point de vue, la surveillance régulière dans cette phase de post-urgence devrait être assurée par la structure habituelle, à savoir l’Office fédéral de la santé publique. De manière générale, je soutiendrais volontiers l’idée d’un organe consultatif scientifique institutionnalisé qui informerait le gouvernement des derniers résultats de la recherche sur des sujets urgents pour la société, qu’il s’agisse du Covid-19, d’autres épidémies, en passant par la cybersécurité, le climat ou encore les questions d’énergie.»