Première arrestation en 2013
L’ADN est une sorte de «livre de recettes» qui contient toutes les caractéristiques d’un individu. En déterminant certains marqueurs sur le génome, aussi appelés mutations, il est possible de connaître les traits physiques d’une personne. Sachant que le nombre de gènes chez un être humain est d’environ 22000, comment les scientifiques ont-ils réussi à trouver le marqueur qui code pour un seul trait physique? En analysant des dizaines de milliers de génomes humains. Ils ont ensuite calculé, avec des modèles statistiques, les forces d’associations entre certaines mutations et une particularité physique.
A ce jour, les généticiens ont identifié une vingtaine de mutations qui sont caractéristiques du sexe d’un individu, de la couleur de ses yeux et de ses cheveux ainsi que d’une approximation de son âge. La première identification d’un suspect sur la base de l’ADN a été ainsi réalisée dans le cadre d’une enquête française en 2013; elle a abouti à son arrestation.
D’ici deux à trois ans nous serons capables d’obtenir la photo d’un individu avec la simple analyse de son ADN
Christian Doutremepuich, directeur d’un laboratoire bordelais spécialisé dans les analyses génétiques destinées à l’identification humaine, en est convaincu: «D’ici deux à trois ans nous serons capables d’obtenir la photo d’un individu avec la simple analyse de son ADN». Un avis que ne partage pas Vincent Castella, responsable du laboratoire de génétique forensique au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) à Lausanne: «Une photo du visage d’une personne sur la base de son ADN n’est pas imaginable à court terme. La forme du visage est influencée par de nombreux gènes et dépend également de facteurs environnementaux.»
Des probabilités, pas de certitudes
En effet, il n’est pas rare que plusieurs mutations influent sur une même caractéristique physique. Une autre limite possible d’une telle identification, souvent avancée par les spécialistes, est que les mutations génétiques sont propres à un type de population. Elles s’appliquent si le sujet est européen mais ne seront pas forcément valables sur un individu d’origine asiatique. De plus, de multiples facteurs environnementaux conditionnent les traits physiques. La taille, par exemple, est en partie liée à l’alimentation reçue durant l’enfance.
«Par contre, il existe des outils qui permettent de réaliser des prévisions de la couleur des yeux et des cheveux, ainsi que de l’origine d’une personne, à partir de l’étude de son ADN, concède Vincent Castella. Les résultats sont assez précis. Toutefois ces approches sont probabilistes et ne fournissent pas de certitudes.»
La loi suisse en décalage
En Suisse, ces techniques de détermination génétique sont utilisées dans le domaine de la recherche fondamentale mais elles sont interdites lors d’enquêtes policières. «La loi suisse sur les profils ADN a été écrite en 2003, explique Christian Gehrig généticien au CURML de Lausanne. Or les avancées scientifiques dans ce domaine sont si rapides qu’il y a effectivement un décalage entre ce que l’on sait faire et ce qui est légalement autorisé.» Et le spécialiste de poursuivre: «Lors d’affaires comme celle d’Emmen, il est vrai que des pressions sociales peuvent se faire ressentir sur les personnes sollicitées pour autoriser ou non de tels examens». La famille de la victime aurait en effet demandé une exception à la loi afin que puissent être déterminées les caractéristiques physiques du violeur, mais n’aurait pas obtenu gain de cause.
La loi prévoit qu’il est interdit d’obtenir, sur la base de l’ADN, des particularités physiques propres à une personne hormis son sexe. Ceci parce qu’elle se base sur le principe de respect de la vie privée. Mais selon Vincent Castella, «connaître des caractéristiques physiques qui sont visibles de tous, comme la couleur des yeux et des cheveux, ne me pose aucun problème éthique. La question est plus délicate en ce qui concerne l’origine d’une personne ou l’utilisation de mutations associées à des maladies.»
Les deux experts du CURML s’accordent sur deux points, qui sont liés: premièrement, ces mêmes informations peuvent être divulguées par un témoin. Or dans ce genre de cas, elles ne sont pas assimilées au domaine de la vie privée. Deuxièmement, obtenir ces informations avec une certaine probabilité chiffrée paraît justement moins subjectif que les glaner par des témoignages. Christian Gehrig se montre ainsi davantage surpris du fait «qu’il soit légal en Suisse d’identifier un criminel au travers d’une recherche familiale [prélèvement de l’ADN de proches parents]. Ceci peut sans doute poser un problème éthique pour certains, mais qui est finalement contrebalancé par l’intérêt plus important d’identifier, par exemple l’auteur d’un meurtre».
A lire dans nos éditions de samedi les deux éclairages opposés apportés sur le même sujet par la criminologue et conseillère nationale vaudoise Rebecca Ruiz favorable à une adaptation de la loi et par Bertrand Renard, professeur de criminologie à l’Université de Louvain, défavorable à un changement de la loi en vigueur.
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