Enfants et ados, victimes silencieuses de la crise sanitaire
pandémie
Peu touchés par le Covid-19, les jeunes sont particulièrement affectés dans leur santé par le climat anxiogène de ces derniers mois. Pédiatres et pédopsychiatres tirent la sonnette d’alarme

Les chiffres sont éloquents, entre juin et septembre, le service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Supea) du CHUV a enregistré une augmentation de 50% des demandes d’hospitalisation motivée par des crises d’angoisse, des troubles de l’humeur ou des tendances suicidaires. Le service a aussi dû répondre à l’accroissement des consultations en pédopsychiatrie.
«La période du semi-confinement a exigé des plus jeunes une grande capacité d’adaptation, explique la Prof. Kerstin von Plessen, cheffe du Supea. Du jour au lendemain, les enfants ont totalement perdu leur cadre scolaire et le cercle familial a été très chamboulé. Pour bien se développer, les jeunes ont besoin d’un environnement stable qu’ils n’ont plus depuis le mois de mars. Encore aujourd’hui, les consignes sanitaires ne cessent de changer et cela provoque chez eux une grande anxiété.»
Lire aussi: Le rôle des enfants dans la pandémie se précise
Les études de grande ampleur manquent pour chiffrer, à l’échelle nationale, les effets délétères de la crise sur la santé des jeunes. Cependant, quelques chiffres et projections existent. «Dans un article publié en mai dans le journal European Psychiatry par notre unité, nous avions projeté que, suite aux augmentations de divorces et des violences domestiques dues au confinement, environ 13 000 enfants pourraient avoir une réduction de leur espérance de vie d’environ 3,3 ans», explique Dominik Moser, chercheur à l’Institut de psychologie de l’Université de Berne. Cette hypothèse est appuyée par les chiffres issus de la Swiss Corona Stress Study à Bâle, qui a montré qu’au mois de juin la catégorie des 14-24 ans avait été davantage touchée par les symptômes dépressifs que le groupe des 35 à 44 ans.
«Insécurité face à l’avenir»
Malgré un retour à une vie presque normale en mai, les jeunes ne vont pas mieux. En septembre, le service de psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents (SPPEA) de la Fondation de Nant a constaté une augmentation significative des demandes de consultation. «Habituellement, les rentrées scolaires sont calmes, explique Fiona Fretz-Tongue, psychologue cadre au SPPEA. Aujourd’hui, nous remarquons à quel point certains enfants peinent à renouer avec le cadre scolaire et les relations sociales en général. Il y a une grande insécurité face à l’avenir et à la formation.»
A nous de trouver des moyens créatifs pour permettre aux jeunes de se voir sans se contaminer. Aujourd’hui, les rencontres innocentes entre ados sont devenues criminelles!
A la souffrance psychologique s’ajoutent d’autres maux. «L’arrêt d’activités physiques lié au semi-confinement a engendré une prise de poids chez beaucoup d’enfants. L’abus d’écran et le grignotage ont aussi joué un rôle, explique Claude Bertoncini, président du Groupement des pédiatres vaudois. Aujourd’hui, il est difficile de faire machine arrière. L’absentéisme et les décrochages scolaires sont courants.» Problèmes de surpoids mais aussi recrudescence des troubles alimentaires sont les conséquences d’une période où l’on reste davantage enfermé à la maison.
Une enquête (réalisée dans le cadre d’un travail de master en cours à l’Hôpital de l’enfance) auprès de 128 familles vaudoises a montré que 58% des enfants ont changé de comportement pendant cette crise, en présentant, notamment, des troubles du sommeil, du stress et de l’anxiété. Il a également été montré que la proportion d’enfants qui font moins de deux heures d’activité́ physique légère par jour a doublé.
Ne pas fermer les écoles
Claude Bertoncini déplore également les restrictions qui s’appliquent au niveau des soins (notamment pour les malades chroniques) et des bilans de santé dits «non urgents». «Un de mes patients a dû attendre trois jours avant de se faire opérer pour une fracture du fémur. En temps normal, il aurait été pris en charge le jour même!»
Lire aussi: Les opérations non urgentes, fusible des hôpitaux surchargés
Kerstin von Plessen et Claude Bertoncini ont fait partie du groupe de travail qui a milité, début novembre, auprès du conseil scientifique du canton de Vaud, pour ne pas fermer les écoles une deuxième fois. Malgré cela, l’absentéisme lié aux quarantaines est aujourd’hui courant. «Dans les foyers déjà fragiles, le risque de maltraitance augmente. Pour ces familles, le cadre scolaire et la vie sociale sont les soupapes qui permettent d’éviter la violence», précise Claude Bertoncini.
Pour limiter les dégâts, Kerstin von Plessen pense qu’il est important de redonner une vision d’avenir positive aux jeunes: «La société ne devrait pas se focaliser uniquement sur la pandémie. A nous de trouver des moyens créatifs pour permettre aux jeunes de se voir sans se contaminer. Aujourd’hui, les rencontres innocentes entre ados sont devenues criminelles!»
Lire aussi: Retarder le début des cours pour améliorer la santé des adolescents