Les piqueurs de l’été (8)
Méduses, moustiques, taons, guêpes: ils sont nombreux à nous faire frémir malgré leur petite taille. L’été est leur saison de prédilection. Chaque semaine, un de ces animaux venimeux viendra livrer ses confidences dans les colonnes de la page Sciences & Environnement

Les piqueurs de l’été
Enigmatique tique
«La tique, butée, bornée, et répugnante, reste embusquée, et vit, et attend. Attend jusqu’à ce qu’un hasard extrêmement improbable lui apporte le sang juste sous son arbre, sous la forme d’un animal. Et c’est alors seulement qu’elle sort de sa réserve, se laisse tomber, se cramponne, mord et s’enfonce dans cette chair inconnue.»
Ces lignes de l’écrivain Patrick Süskind dans son roman Le Parfum (où il me compare à son héros et assassin Jean-Baptiste Grenouille) font partie des plus belles qui m’aient jamais été consacrées. Il est bien rare que moi, la tique, je me retrouve au centre d’une œuvre littéraire. D’autres bêtes me ravissent toujours la vedette. Imaginez un peu: «Le vieil homme et la tique»? «Des tiques et des hommes»? «Moby tique»? Soyons sérieux.
Si j’aime ces quelques lignes, c’est qu’elles reflètent assez fidèlement ma personnalité. Même si j’userais plus volontiers de l’adjectif «patiente» que «butée» pour rendre compte des longues heures que je passe tapie dans les sous-bois à attendre mes victimes. Car à chacun de mes stades de développement – quand de larve je deviens nymphe, puis quand j’acquiers ma taille adulte –, j’ai besoin de me repaître de sang. Pour cela, je me sers un peu sur tout ce qui bouge: êtres humains, chiens, chats, moutons, oiseaux, serpents ou lézards… tous peuvent être désignés volontaires au détour d’une promenade en forêt.
Contrairement à ce que pense monsieur Süskind (et pas seulement lui: c’est une croyance populaire), je ne grimpe pas aux arbres. Je préfère me poster à l’extrémité d’une herbe folle qui me place directement à la hauteur du mollet du flâneur ou du flanc de son chien. Je ne repère pas mes victimes par la vue; en fait, comme la plupart de mes congénères (nous sommes près de 900 espèces de tiques à travers le monde), je n’ai pas d’yeux. Pour quoi faire? Mes pattes avant sont dotées d’un outil très performant appelé «organe de Haller», capable de détecter des substances contenues dans la sueur, comme l’ammoniac, ou le dioxyde de carbone rejeté lors de l’expiration. En fait, je vous repère à vos odeurs d’haleine et de transpiration. Miam.
Une fois que j’ai mis la patte sur vous, je cherche un endroit adapté à mon pique-nique. Mes faveurs vont aux zones tendres et moites; le creux des genoux, les aisselles, le cuir chevelu ou l’entrejambe. J’y entaille la peau à l’aide de pièces buccales acérées, avant d’y plonger mon rostre. Ça a l’air affreux comme ça, mais en fait, c’est indolore! Grâce à la substance anesthésiante que je sécrète, qui permet à ma morsure de passer inaperçue…
Je suis adepte du slow-food. Une fois installée, je passe plusieurs jours à pomper des globules rouges. Je suis particulièrement goulue lorsque je porte des œufs: je peux alors me goinfrer jusqu’à atteindre 200 fois mon poids initial! Mais ce n’est pas tant mon appétit que les micro-organismes que je transporte dans mon intestin qui me valent ma mauvaise réputation. Ils sont responsables de maladies parfois très handicapantes. Outre la maladie de Lyme, due à une bactérie, certaines d’entre nous en Suisse sont porteuses d’un virus à l’origine de la méningo-encéphalite verno-estivale (FSME). Sans parler de la neoehrlichiose, une autre maladie encore, dont l’existence n’est connue que depuis quelques mois.
Je me doute bien que désormais, même les plus altruistes d’entre vous auront renoncé à me faire don de leur sang et chercheront à m’arracher au plus vite de leur peau. Je ne peux pas vraiment vous donner tort. Plus vite vous me retirerez, moins vous aurez de chance d’être infectés. Et tant pis pour moi.