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Diverses personnalités analysent l’exploit. Un gain d’image énorme pour la Suisse pour Nicolas Bideau. Une démonstration inutile ou de l’enthousiasme effrité pour deux voix critiques. L’aube du futur électrique de l’aviation pour Claude Nicollier

«Solar Impulse est notre plus puissant blockbuster scientifique de tous les temps»
Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse
«Médiatiquement, Solar Impulse est notre plus puissant blockbuster scientifique de tous les temps. Depuis la traversée des Etats-Unis en 2013 jusqu’au bouclement du tour du monde cette année à Abu Dhabi, jamais un projet scientifique suisse n’aura autant attiré l’attention des médias internationaux. Lorsque CNN, la BBC, Al Jazeera ou TF1 font leur Une sur un projet suisse précurseur en termes de technologies propres et de développement durable, c’est très fort pour l’image de la Suisse. Je suis persuadé que la Confédération a vu juste en s’associant à Solar Impulse; Présence Suisse tire un bilan très positif de l’accord passé avec les deux éco-aventuriers suisses.
En effet, ce projet a réellement permis de diversifier notre image à l’étranger. Aux côtés des dimensions éternelles «montagne-chocolat-fromage-montres-banques», la Suisse peut désormais jouer la carte du développement durable, un domaine dans lequel notre pays était peu perçu à l’étranger malgré son réel potentiel scientifique et industriel. Ce gain en image signifie beaucoup. Avec un tel marketing, la Suisse peut compter avec plus d’investissements et de volume d’affaire dans le domaine des cleantechs, plus d’intérêt pour des partenariats scientifiques et un gain de crédibilité pour les objectifs de notre politique étrangère dans le domaine du développement durable.
Ce projet a réellement permis de diversifier notre image à l’étranger, aux côtés des dimensions éternelles «montagne-chocolat-fromage-montres-banques»
Ce qui est fascinant avec ce projet c’est que, sur le plan de la communication, aucune campagne n’aurait obtenu un tel impact. En effet, le cocktail aventure-risque-écologie associé au charisme des pilotes a permis de dynamiser les messages politico-écologiques.
Je retire personnellement une grande fierté de ce drapeau suisse qui a fait le tour du monde pour sensibiliser la communauté internationale sur l’avenir de la planète. Chapeau Bertrand et André, mission accomplie!»
«Solar Impulse apporte un message paradoxal»
Suren Erkman, professeur d’écologie industrielle à l’Université de Lausanne
«A mon avis, il ne s’agit pas vraiment d’un projet de nature environnementale ou lié au développement durable. L’importance des énergies renouvelables est connue depuis longtemps, Solar Impulse n’était pas nécessaire pour mettre cela plus en avant.
L’impact environnemental total du projet est loin d’être négligeable, notamment si l’on tient compte des innombrables vols en avion et en hélicoptère sur une quinzaine d’années qu’a impliqué le projet.
Solar Impulse apporte un message pour le moins paradoxal sur ce plan: le grand public peut en retenir que, finalement, le solaire est un luxe (le coût total du projet Solar Impulse, 170 millions de francs, est très élevé), très compliqué (ennuis techniques, problèmes de batteries à Hawaii, etc.), très peu performant (immense surface de cellules photovoltaïques pour faire voler à faible vitesse une seule personne) et fortement dépendant des aléas naturels (vols possibles seulement dans certaines conditions météorologiques favorables, etc.).
A cela s’ajoute que l’impact environnemental total du projet est loin d’être négligeable, notamment si l’on tient compte des innombrables vols en avion et en hélicoptère sur une quinzaine d’années qu’a impliqué le projet.
En fait, Solar Impulse ressemble plus à l’un de ces projets médiatico-commerciaux qui tendent à se multiplier depuis quelques années. Pour être dans l’air du temps, ces projets utilisent souvent l’argument environnemental, sans que ce dernier soit véritablement fondé.»
«Je vois un avenir très clair pour l’aviation électrique commerciale et utilitaire dans le futur»
Claude Nicollier, astronaute et professeur à l’EPFL, qui fut directeur des vols d’essais de Solar Impulse et chef puis membre de son Safety Review Board.
«L’impact le plus important du projet Solar Impulse, sur le plan technologique, est la très forte promotion et le développement d’une architecture conceptionnelle performante pour l’aviation électrique et solaire électrique du futur. Je vois un avenir très clair pour l’aviation électrique commerciale et utilitaire dans le futur. Pour l’aviation solaire électrique, je vois plutôt un avenir pour une aviation de plaisance, et des drones stratosphériques non habités. La puissance électrique disponible sur la base de la collection du rayonnement solaire par les moyens photovoltaïques est tout simplement trop faible pour qu’on puisse l’utiliser pour le transport pratique de nombreuses personnes ou de fret.
On entend souvent dire que le projet a réalisé l’impossible. Je ne suis pas de cet avis. Atteindre l’objectif était assurément très difficile et a nécessité un très grand effort d’une équipe formidablement motivée et professionnelle. Mais l’étude de faisabilité, réalisée à l’EPFL aux environs de 2003, a permis de mettre en évidence la faisabilité du projet, avec peu de marge (sur le plan énergétique). La volonté des lanceurs du projet ainsi que le talent d’une formidable équipe ont fait le reste!»
Il y a toujours eu l’esprit d’une mission spatiale dans ce projet, et le directeur de mission Raymond Clerc et moi-même étions bien d’accord sur l’efficacité du concept de la salle de contrôle dirigée par le «Flight Director» ou «Test Conductor», respectivement pour les vols «Mission» et les vols «Test», avec discipline et rigueur dans le travail, et dans les prises de décision. Cela a marché, comme ça a marché dans tous les programmes spatiaux de vols habités, du vol de Gagarine en avril 1961 jusqu’à la Station Spatiale Internationale, via le programme Apollo et celui de la navette spatiale. On ne peut pas manquer de citer le directeur de vol d’Apollo 13, Gene Kranz: «Failure is not an Option!» («L’échec n’est pas une option»). Cette devise a toujours été très forte pour Raymond Clerc, et pour toute l’équipe de Solar Impulse, avant tout pour Bertrand Piccard et pour André Borschberg!
Le projet et son succès ont-ils permis de changer les esprits? J’en suis convaincu.»
«Bertrand Piccard a surtout réussi à faire sa propre publicité»
Simon Aegerter, physicien diplômé, pilote privé et entrepreneur de Wollerau (SZ), qui a suivi le projet depuis son début.
«Bertrand Piccard et son équipe ont mis sur pied une prouesse et une merveille technique. Néanmoins, ce projet ne représente pas la voie du futur, ni en matière de vol ni en matière d’approvisionnement en énergie. Il démontre au contraire les limites du photovoltaïque. En ce qui concerne le vol, le photovoltaïque mène à une impasse. Plus un avion est gros, plus il est lourd et plus il a besoin de puissance pour se propulser. Comme il est impossible d’augmenter la lumière du soleil, il faut une surface plus grande en panneaux solaires pour obtenir plus de puissance. Mais ces installations rendent de nouveau l’aéronef plus lourd. C’est un cercle vicieux.
Solar Impulse (SI2) est la preuve que le photovoltaïque ne permet pas de fournir suffisamment d’énergie, ni pour l’aviation ni pour la technologie de pointe. Pour cela, il faut des sources d’énergie disponibles en grandes quantités, à la fois fiables et peu coûteuses. L’énergie solaire dépend de l’heure de la journée, de la saison et de la météo.
J’ai eu la chance de tester l’aéronef dans un simulateur. Mais voyant que le projet s’étalait toujours plus sur la durée, mon enthousiasme s’est quelque peu réfracté
En tant que pilote et féru de technique, je trouvais le projet intéressant; j’ai eu la chance de pouvoir tester l’aéronef dans un simulateur. Mais voyant que le projet s’étalait toujours plus sur la durée, mon enthousiasme s’est quelque peu réfracté.
Bertrand Piccard n’a pas pu apporter la preuve à son message «Le futur est propre» («Future is clean»). Il a surtout réussi à faire sa propre publicité. Il a aussi montré que, dans le pôle de recherche qu’est la Suisse, on peut trouver les moyens nécessaires si l’on s’attelle correctement à un tel projet, avec la persévérance nécessaire.» (Propos recueillis par l’ATS)
«Ce projet a permis de valider les technologies photovoltaïques dans des conditions réelles et difficiles»
Christophe Ballif, chef du laboratoire de photovoltaïque de l’EPFL, impliqué dans la genèse du projet
«Ce projet a permis de valider les technologies photovoltaïques dans des conditions réelles, parfois très difficiles, avec maintes contraintes (effets de gel, chaleurs extrêmes, etc.), qui auraient pu endommager les panneaux solaires à maints égards, en faisant lâcher les connexions électriques par exemple. Il a permis de montrer la faisabilité de l’efficacité énergétique, et ouvre la voie aux applications liées aux drones solaires.
Quant au message lié à l’avènement des technologies propres véhiculé par ce projet, il commence à passer dans le public. Les deux aventuriers ont apporté une pierre importante à ce qui constitue vraiment une révolution.»