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Les 12 travaux climatiques de Simonetta Sommaruga à Glasgow

Venue défendre le choix de la Suisse de miser sur la compensation carbone à l’étranger, la conseillère fédérale joue également un rôle de médiatrice. Nous l’avons suivie à travers les méandres des couloirs et des discussions, dans l’attente de leur dénouement

Simonetta Sommaruga en grande discussion avec le responsable de la Division des affaires internationales, Franz Perrez. — © AFP
Simonetta Sommaruga en grande discussion avec le responsable de la Division des affaires internationales, Franz Perrez. — © AFP

Retrouvez tous nos articles consacrés à la COP 26 dans notre dossier: COP26, entre espoir et pessimisme

Jeudi 11 novembre, 18h. Après une déjà longue journée de rencontres officielles et de discours, entrecoupée de déambulations dans les interminables couloirs parcourant la zone bleue de la COP26, réservée aux négociations officielles, Simonetta Sommaruga est en visite au Pavillon de la cryosphère. Cofinancé par la Suisse, cet espace d’exposition et de conférences consacré au devenir des glaciers, banquises et autres sols gelés occupe une place enviable à l’entrée du hall rassemblant les lieux de représentation des Etats et des organisations présents à la conférence.

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Au Pavillon de l’eau voisin, on sort la bière pour l’apéritif, tandis qu’un militant anonyme déguisé en dinosaure passe par là, flanqué d’un panneau invitant les participants de la conférence à ne «pas choisir l’extinction». Certains s’arrêtent pour prendre la pose avec le facétieux animal. Tout le monde a besoin de se détendre, alors que les négociations ont entamé leur dernière ligne droite, sans qu’on puisse pour autant en entrevoir la fin. Initialement attendue vendredi soir, la conclusion de la conférence ne devrait pas avoir lieu avant le lendemain.

Lire justement: A la COP26, la quête du plus petit dénominateur commun

Accueillant la conseillère fédérale dans le pavillon, dont elle co-organise les événements, la glaciologue originaire de Haute-Savoie Heïdi Sevestre lui délivre un message scientifique clair: «Si nous dépassons un certain niveau de réchauffement, la cryosphère subira des dommages irréversibles. Les glaciers alpins, si importants pour notre économie et nos ressources en eau, pourraient disparaître d’ici la fin du siècle. Alors que si on parvient à limiter le réchauffement à 1,5°C d’ici la fin du siècle, on peut encore préserver 40% de leur masse.»

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Intenses discussions avec le Brésil

Heïdi Sevestre se montre particulièrement convaincante. Simonetta Sommaruga s’en amuse: «Il y a de nombreuses personnes à la COP26 qui auraient besoin d’entendre ce que vous avez à dire. Vous n’auriez pas trente minutes pour aller en discuter avec les représentants du Brésil?» La ministre chargée de l’Environnement sort tout juste d’intenses discussions avec son homologue brésilien, au sujet des échanges internationaux de crédits carbone. Sur cette thématique, l’une des plus disputées de la conférence, Suisse et Brésil ont des positions opposées.

Avec l’Accord de Paris, adopté en 2015, les Etats se sont engagés à limiter l’accroissement des températures à 2°C et même si possible 1,5°C d’ici la fin du siècle, seuil au-delà duquel les scientifiques anticipent des conséquences dramatiques, telles que la multiplication des événements extrêmes et la déstabilisation des écosystèmes. A Glasgow, il s’agit de décider collectivement des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif. Or les représentants des quelque 200 Etats présents à la conférence ne partagent pas tous la même vision, c’est le moins qu’on puisse dire. D’où le caractère laborieux des discussions.

Tout en haut de l’agenda de Simonetta Sommaruga à la COP26 figure la défense du marché carbone. La possibilité d’échanges internationaux de crédits carbone a été introduite dans l’article 6 de l’Accord de Paris, mais ses règles n’ont pas encore été définies. La Confédération n’a pas attendu que ce soit le cas pour conclure plusieurs accords bilatéraux en ce sens. Elle soutient ainsi des programmes de réduction des émissions à effet de serre dans différents pays, afin de pouvoir les comptabiliser à son compte. De quoi l’aider à respecter son engagement international de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 d’au moins 50%, par rapport à 1990.

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Après le Pérou, le Ghana, le Sénégal et la Géorgie, la conseillère fédérale a annoncé jeudi deux nouveaux accords de ce type: avec l’archipel du Vanuatu dans le Pacifique, et l’île caribéenne de la Dominique. Deux nations particulièrement exposées aux effets du changement climatique, en raison de la montée du niveau des océans et de la multiplication des cyclones, à l’image de l’ouragan Maria qui a dévasté la Dominique en 2017. Au Vanuatu, l’accord porte sur le déploiement de panneaux photovoltaïques pour l’approvisionnement en électricité de 60 îles. «Cela nous aidera à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et à atteindre nos objectifs de développement durable», a fait valoir le ministre du Changement climatique du Vanuatu, Bruno Leignkone, dans un message vidéo diffusé lors d’une conférence de presse jeudi midi.

Sandwichs et sodas

Mais à la COP26, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Pour de nombreux militants, cette option permet surtout aux pays qui l’adoptent de se dédouaner de leurs propres responsabilités, en reportant leurs efforts à l’étranger. D’autres redoutent que de mauvaises règles soient adoptées à Glasgow, avec le risque de vider de sa substance ce processus de compensation. «Pas d’accord, c’est mieux qu’un mauvais accord», scandaient vendredi matin dans les couloirs de la COP des représentants du mouvement de jeunes militants Youngo, inquiets du tour que prenaient les négociations sur ce point.

Sur les militants du climat à Glasgow : A la COP26, résister envers et contre tout

Certains Etats, à l’image du Brésil, sont en faveur d’un marché carbone ayant des règles souples, dont ils pourraient tirer davantage de bénéfices. La Suisse au contraire réclame des normes contraignantes, comme l’a indiqué Simonetta Sommaruga jeudi soir en séance plénière, au nom d’un groupe de pays qui partagent les mêmes vues. «Il s’agit avant tout d’éviter que les réductions d’émissions puissent être comptabilisées deux fois, par le pays qui les réalise et par celui qui a acheté les crédits, défend la ministre. Nous sommes aussi attentifs à ne sélectionner que des projets qui n’auraient pas vu le jour sans notre soutien, et qui n’entraînent pas d’atteintes aux droits de l’homme.»

Alors que les négociations durent depuis bientôt deux semaines, la quinzaine de membres de la délégation suisse enchaînent les longues journées et les repas faits de sandwichs et de sodas. Dans son camp de base, un bureau délimité par de simples cloisons et flanqué d’un drapeau à la croix blanche: des tables placées en forme de U, des chaises, du café en libre-service. Sous la lumière aveuglante des néons, le chargé de communication de l’Office fédéral de l’environnement, Robin Poëll, déplore: «Ici, impossible de se faire une idée de l’heure qu’il est…»

«Il y a beaucoup de pression en ces derniers jours de conférence, de nombreuses personnes travaillent jour et nuit», commente la conseillère fédérale, elle-même arrivée à Glasgow mardi, pour le segment ministériel de la conférence. Parmi les autres thèmes qui l’occupent, figure la définition d’un calendrier commun à tous les Etats pour leurs réductions d’émissions de CO2 – le «common time frame», dit-on dans le jargon onusien. La mission lui a été confiée par le président de la COP26, le Britannique Alok Sharma, conjointement avec la ministre rwandaise de l’Environnement, Jeanne d’Arc Mujawamariya.

Gagner du temps

«Au cours de ces dernières semaines, nous avons multiplié les entretiens avec les représentants des Etats pour comprendre leurs positions. De neuf propositions de départ, nous sommes passés à deux. Le sujet est maintenant entre les mains de la présidence de la conférence», indique la ministre, sans préjuger du dénouement de l’affaire. Il s’agit de déterminer si les Etats devront présenter leurs prochains objectifs de réduction sur une période de cinq ans (2030-2035) ou de dix ans (2030-2040). La majorité des pays sont en faveur de la première option, qui incite davantage à l’action, mais certains souhaiteraient gagner du temps.

«En parlant avec les gens ici, on se rend compte à quel point les pays sont dans des positions très variées par rapport au changement climatique, fait remarquer Simonetta Sommaruga. Pour certaines nations insulaires comme le Vanuatu, il s’agit d’une question existentielle. D’autres au contraire dépendent encore beaucoup des énergies fossiles, et sont donc réticents à agir. Le principe des négociations climatiques est qu’il faut trouver un consensus entre tous. Les militants mettent beaucoup de pression pour que les discussions avancent, mais les représentants de l’industrie des combustibles fossiles sont aussi nombreux à la conférence. C’est vraiment une situation extraordinaire.»

Vendredi soir, de nombreux points demeuraient ouverts, et aucun observateur ne se risquait à faire des pronostics sur l’issue des discussions, en particulier sur ce qui serait retenu dans le texte conclusif de la conférence. La dernière mouture de ce texte contenait des points pouvant être considérés comme des avancées, par exemple la référence au seuil de 1,5°C de réchauffement à ne pas dépasser à la fin du siècle, et la mention d’une élimination des combustibles fossiles. Mais ces éléments ne font pas les affaires des grands producteurs de pétrole comme la Russie ou les pays arabes, qui pourraient encore tenter de les faire disparaître.

La question de l’aide financière à apporter aux pays les moins développés est un des autres points qui retardent l’adoption d’un accord à Glasgow, alors que les pays riches n’ont pas tenu leur promesse de 100 milliards d’aide annuelle. «Certains Etats ont besoin de notre aide et leurs demandes doivent être entendues», affirmait vendredi soir Simonetta Sommaruga, qui considère que la Suisse fait sa part en la matière, mais pas certains grands pays qui en auraient les moyens, à l’image de la Chine ou des pays arabes. «Il faut mettre l’argent sur la table pour aider les pays en développement à faire les changements nécessaires», insistait encore vendredi le premier ministre britannique Boris Johnson à la BBC.